La Communication NonViolente en milieu médical

« Au bloc opératoire, le médecin et l’infirmier anesthésiste se préparent à une péridurale dans le cadre d’une césarienne. L’activité est très soutenue et le médecin anesthésiste est fatigué et irritable. L’infirmier présent propose son aide dans le choix et la préparation des capsules de morphine comme le précise le protocole de l’établissement. Mais le médecin déclare qu’il va se débrouiller tout seul. En effet, il a eu précédemment une altercation avec l’infirmier car celui-ci était en retard, retenu en salle de réveil. Il exécute donc seul le contrôle et se trompe d’ampoule. Au final, la patiente reçoit dix fois la dose et évite de justesse une issue fatale. » (1)

Cet exemple vécu, interpellant, traduit combien la prise en compte des émotions et la communication sont essentielles dans le milieu médical.

Tous les acteurs de la santé sont concernés : Médecins – infirmiers -personnel médical et administratif des institutions (hôpitaux, maisons de repos et de soins, lieux d’accueil de personnes porteuses d’un handicap), les aidants proches et … les patients. 

Dans le contexte sanitaire actuel, les symptômes de mal-être sont nombreux chez les soignants : anxiété, fatigue, stress chronique, épuisement général, physique et spirituel, absentéisme jusqu’au choix de quitter la profession. (cf Fondation Roi Baudouin).

La CNV aide le soignant à développer des compétences comme celle, d’abord, d’apprendre à accueillir et nommer ses émotions, que ce soit de l’appréhension ou de l’ennui à l’idée de revoir un patient atteint de maladie chronique, de la frustration, du découragement, de l’impatience, un sentiment d’échec, de culpabilité face à des traitements qui ne répondent pas aux attentes, du doute, de l’incertitude, de l’impuissance, de la tristesse face aux situations des patients, de l’épuisement émotionnel, de l’épuisement physique dû à la surcharge de travail, au manque de personnel en lien avec la crise sanitaire actuelle.

Avec cette plongée dans ses sentiments, il aura aussi à associer les besoins insatisfaits qui en sont à l’origine comme : le besoin de contribuer à l’amélioration de la santé de ses patients, le besoin de « gérer » ses émotions dans son intérêt et celui du patient, un besoin de participation, de coopération, d’attention, de soutien ou encore d’expression, de communication authentique, d’écoute, de compréhension, d’empathie, un besoin de respect, de reconnaissance ou de sens, la perte de sens touchant particulièrement ceux qui ont choisi leur métier par vocation.

Il s’agira de donner de la place à ces besoins et de prendre le temps de reconnaître leur légitimité avant de développer des stratégies créatives pour y répondre.

Avec la CNV aussi, le thérapeute apprend à dire non, à mettre ses limites : « Reconnaître les besoins de l’autre ne veut absolument pas dire y acquiescer. Pouvoir dire quels sont nos propres besoins qui nous empêchent de répondre oui. » (2)

Pascale Molho, formatrice certifiée française en Communication NonViolente , Docteur en médecine, fer de lance de la diffusion de la CNV dans les lieux médicaux et de soins, oeuvre depuis plus de 20 ans dans ce domaine et maintenant au sein de l’association qu’elle a créée : Cap CNV Santé

Elle écrit : « … la prise en compte des besoins des soignants me paraît indispensable, vitale, pour maintenir un climat propice à la guérison. Prendre soin de soi avant de prendre soin des autres a été une véritable révolution dans mon système intérieur, tellement j’étais conditionnée à me dévouer aux autres. » (3)

Elle relève aussi les progrès que les soignants ont à faire dans l’écoute empathique.

 « La méta-analyse de Steward de 1995, qui a pris en compte 21 études, est tout-à-fait explicite à ce sujet :

  1. En moyenne, les médecins interrompent le patient au bout de 18 secondes en début de consultation !
  2. Dans 54 % des cas, les patients interrogés par des observateurs indépendants estiment que leurs véritables problèmes n’ont pas été identifiés au cours de la consultation.
  3. Les motifs de préoccupation des patients ne sont pas abordés dans 45 % des cas.

Il va sans dire que les patients dont les problèmes n’ont pas pu être exprimés ressortent de la consultation sans qu’aucune solution n’ait pu voir le jour. » (4)

Marshall Rosenberg écrit à propos de Pascale Molho dans son livre « Communication et Pouvoir » : « elle montre aux professionnels de la santé tout ce que l’on peut arriver à faire en ne donnant qu’une minute d’empathie ». (5)

« Une formation de seulement 8 heures améliore significativement la capacité empathique des médecins, sans allonger la durée de la consultation, point essentiel de nos contraintes de temps. »  (4).

L’écoute empathique, une « écoute centrée sur le patient » … facilite « l’expression par le patient des raisons pour lesquelles il consulte, y compris ses symptômes, ses idées, ses sentiments et ses attentes » (4), permet au médecin de « refléter, soutenir, légitimer et respecter les plaintes du patient en créant un partenariat avec lui. » (4) « Le reflet va minimiser le risque d’interprétation erronée de ce qu’une personne exprime ».(6)

L’écoute empathique du patient qui ne suit pas les prescriptions ou les comportements recommandés va permettre de clarifier à quels besoins il répond et l’aider peut-être à modifier sa stratégie.

L’écoute empathique de la souffrance, des plaintes, du découragement du patient (comme un patient atteint d’une maladie chronique qui va dire : « Je suis si déprimé avec ma maladie que je ne vois pas de raison de continuer à vivre ») permet de ne pas verser dans le déni, le conseil, la consolation, la sympathie, … et d’apaiser la personne qui se sent entendue et en connexion avec un autre être humain.

L’écoute empathique de la colère d’un patient qui s’en prend au médecin : « Vos prescriptions, c’est de la m…. » – « Vous n’êtes pas mieux que les autres. » permet à celui-ci de ne pas être réactif en ayant à l’esprit que : « Plus la personne est en colère, plus il est important de faire l’effort de décoder ses sentiments et besoins » (2). « Derrière l’agressivité se cache une grande détresse, une phrase d’empathie sincère suffisant souvent à la désamorcer » (3)

Voici d’autres compétences que la CNV aide à développer chez le soignant au profit de la qualité des soins :

  • Pratiquer l’expression « honnête » (au sens CNV c’ets-à-dire : dire son vécu et ses aspirations sans agresser autrui) lors de la présentation d’informations sur les traitements comprenant des degrés d’incertitude, lors de l’annonce d’un diagnostic, en faisant signer un « consentement éclairé », …

avec le corollaire de demander au patient en face de soi de redire ce qui lui a été dit pour s’assurer que la personne a bien entendu et éviter les interprétations erronées de son discours.

  • Développer le non-jugement du comportement de l’autre (ex : un patient qui reprend du poids – Attention aux messages reçus par le patient comme une critique – Il ne nous écoute plus car il prépare sa défense ou une justification et cela joue sur la qualité de la relation)
  • L’abandon de préjugés sexistes ou autres (« Les femmes ont 32 % de risques en plus de mourir et 15 % de risques en plus de subir de graves complications selon qu’elles soient opérées par un homme au lieu d’une femme. » (7)) !!!
  • Repérer les « étiquettes » et les éviter (Marshall Rosenberg qui, en psychiatrie, évitait de lire les rapports concernant les patients, l’étiquette diagnostic, pour ne pas se laisser influencer, être dans le vivant avec la personne en face de lui,… )(5)
  • baser ses actions ou ses choix sur ses propres valeurs, sans recourir à des notions de récompense ou de punition, sans brandir des sanctions : « Si un patient adopte un nouveau comportement pour sa santé, basé sur la peur, plutôt que sur une compréhension profonde que cela va satisfaire ses besoins mieux que ce qu’il fait actuellement, il y a peu de chances que cela dure. » (2)
  • Quitter les exigences car elles induisent de la résistance (et donc être également conscient que personne n’a le pouvoir d’imposer quoi que ce soit à quelqu’un d’autre – abandon de sa toute puissance – N.B. « Si le malade pense que son traitement ne répond pas à ses besoins, il le suivra mal. » (8))

Dans la relation soignant-soigné, la CNV invite à un changement de paradigme. Il ne s’agit pas d’appliquer une technique. Il s’agit d’adopter avec sincérité un nouvel état d’esprit : établir une relation de confiance soignant-soigné de type égalitaire qui « s’appuie sur 3 qualités fondamentales : authenticité, acceptation, bienveillance empathique, en lâchant-prise sur les habitudes de prescription et d’exigence que le soignant a envers le patient » (6).  « Dans ce type de dialogue, le soignant a pour souci primordial la qualité de la relation, et non pas la critique ou la recherche d’une solution opérationnelle. Le défi est de lâcher prise sur le résultat et d’avoir confiance qu’un climat empathique favorisera que le patient mette en place progressivement ce qui conviendra le mieux à son développement personnel, y compris sa santé. » (6)

En d’autres mots : On met en place « la Dynamique d’une communication équilibrée et fructueuse, où chacun des protagonistes se sent entendu et repart apaisé» (9). « Une dynamique d’empowerment, où le thérapeute s’envisage moins comme porteur de « la » solution que comme guide aidant  – le patient – à retrouver le chemin de ses propres ressources » (8) va aider le malade à satisfaire ses besoins (d’explication sur sa maladie, ses traitements, d’expression de ce qu’il ressent en cas d’effets secondaires, de garder son autonomie, ses capacités de réflexion et de garder le pouvoir sur sa vie et sa santé, …) dans une collaboration propice à l’amélioration des symptômes et la guérison. 

Dans le domaine des soins de santé, la communication porte sur 3 niveaux :

  • le niveau intime – de soi à soi
  • le niveau individuel dans les rapports soignant – soigné
  • le niveau institutionnel : avec la hiérarchie – avec les décideurs

Dans le domaine institutionnel, les habiletés déjà mentionnées plus haut comme oser dire des choses délicates à dire à la façon CNV, par exemple, permettent de déjouer la rumeur et d’instaurer la confiance en équipe. Voici un exemple d’expression honnête d’un stagiaire travaillant en foyer d’hébergement pour personnes en situation de handicap lors d’une réunion d’« analyse de la pratique » : « J’ai été agacé quand Rémy (chef de service) , tu lançais des allusions à la cantonade.  Je me sentais en danger, tout en ne comprenant pas le sens, à ce moment-là. Je suis triste de vivre tous les jours dans une ambiance où règne la méfiance au lieu d’avoir des relations basées sur le partage et la coopération. J’aspire à recevoir des retours honnêtes de vous tous. Seriez-vous d’accord de m’aider dans mon processus d’apprentissage ? Je peux faire des erreurs de positionnement et vous pourriez m’aider. Je me sens découragé parce que j’aspire à des relations professionnelles qui puissent me soutenir dans mon début de carrière. Je suis prêt à apprendre et pour cela j’ai besoin de m’appuyer sur vos remarques » (11). Cela a débouché sur une communication plus sereine au sein de l’équipe et le soin apporté dans les relations d’équipe a déteint sur le soin apporté aux personnes suivies. Le courage du stagiaire a été porteur d’une évolution bénéfique pour tous.

Toujours dans le domaine institutionnel, un principe utile pour ne pas tomber dans une communication « aliénante », est la conscience que chacun conserve la responsabilité et le choix de ses pensées, ressentis et actes en toutes circonstances.

Marshall Rosenberg pointe diverses situations de déni de responsabilité :

  • Des expressions telles que « devoir », « il faut », « il y a des choses qui doivent être faites, qu’on le veuille ou non » voilent notre responsabilité
    • « Tu me …. » favorise le refus d’assumer notre responsabilité
    • Nous nions notre responsabilité quand nous attribuons les causes de nos actions :
      • aux actions des autres (« J’ai critiqué l’infirmière parce qu’elle est arrivée tard »)
      • à des forces vagues et impersonnelles (« J’ai annulé la réunion parce que c’était nécessaire de le faire. »)
      • à notre histoire psychologique ou personnelle, à un diagnostic ou à une certaine condition (« Je râle parfois sur mon administration parce que j’ai un sale caractère »)
      • au diktat d’une autorité (« Ce sont les ordres de mon chef de service » – « J’ai menti au patient parce que mon chef de service m’a dit de le faire »)
      • à un groupe de pression (« J’ai commencé à administrer la médication parce que quelqu’un d’autre du staff l’avait déjà fait »)
      • aux instructions, règles, régulations institutionnelles (« J’ai renvoyé le patient parce que c’est la politique de l’hôpital de le faire dans de telles circonstances. »)
      • à un rôle (sexuel, social, lié à l’âge) (« Je devais le faire parce que je suis infirmière. »)
      • à des impulsions incontrôlables («  J’ai été submergé par l’envie de dire ce que j’ai fait même si je savais que cela dérangerait tout le monde. ») (10)

C’est ce type de déni qui, érigé en institution, a mené aux pires atrocités au XXe siècle ! …

Les études dans le domaine médical ne forment pas ou peu actuellement à la Communication (et encore moins à la Communication nonViolente), même si celle-ci s’avère être au coeur du travail de soignant.      

L’améliorer sera au service :

  • de l’évitement de l’agressivité, des maltraitances et autres formes de violences
  • de la qualité des soins, dont la précision diagnostique et l’efficacité thérapeutique
  • de la qualité de la relation en termes d’efficacité et de satisfaction pour les 2 parties
  • de la fidélité des patients à leurs soignants et de la réduction des plaintes médico-légales
  • de résultats en termes de santé, comme l’amélioration de certains paramètres chez le malade
  • du bien-être des soignants … et des patients !

Restons optimistes car des initiatives se mettent en place au niveau académique, comme une thèse de doctorat en psychiatrie qui a porté sur « La relation en psychiatrie – apports de la CNV », thèse du Dr Barbara Minondo, lauréate du prix de thèse Jean-Claude Leclercq 2020.

Voici la réponse de quelques internes initiés à la CNV dans ce cadre à la question : « C’est quoi la CNV » ? :

« Un outil pour avoir un contact authentique »

« Une façon d’éviter les conflits »

« Un travail sur soi qui permet d’apaiser les relations. »

« Une façon harmonieuse et juste de vivre avec les autres. Il n’y a pas de perdants. » (12)

Jacqueline De Picker

coordinatrice site-newsletter de l’ACNV-BF asbl

avec reconnassance pour la relecture attentive du Dr Anne van Stappen

Sources :

N.B. Les documents (3), (4), (6) et (8) à (10) sont téléchargeables sur https://www.pascalemolho.fr/archives/