Faut-il craindre le conflit dans le couple ?

Le couple est le lieu privilégié dans lequel les émotions et les blessures risquent d’être activées de manière particulièrement intense.

Comment gérer un conflit avec la CNV ?

L’autre me stimule. Je suis responsable de ce que je fais avec cette stimulation. J’ai 4 manières d’y répondre :

2 façons « habituelles » :

Je riposte : je rejette la faute sur l’autre, je lui retourne son reproche, j’éprouve un sentiment de  colère

ou

J’entends le jugement de l’autre, un reproche, une critique et je me sens fautif, mon estime de moi baisse, je ressens de la culpabilité, de la honte, je déprime

Et 2 façons que nous qualifierons de « CNV » moins « conventionnelles » (*) :

Je porte mon attention sur mes sentiments et mes besoins, j’en prends conscience, je les reconnais, je les nomme (je me donne de l’auto-empathie (**))

ou

Je dirige mon attention sur les sentiments et besoins de l’autre (je lui donne de l’empathie (**)).

Un exemple : L’autre me dit : « Tu es sans cœur ! »

  1. Colère : « Et toi, comment est-ce que tu te comportais avec M. ? C’est pas être sans cœur ça ? Quel culot ! »
  2. Culpabilité : « Mais oui. Je suis une rationnelle pure et dure, mon cœur est fermé. Je calcule toujours, je ne suis pas capable d’aimer. »
  3. Auto-empathie : « Quand je l’entends dire ça, je suis effondrée, désorientée. J’ai tellement besoin d’accueil de qui je suis comme je suis et de bienveillance. »
  4. Empathie : « Quand je t’entends dire ça, est-ce que tu es en colère ? tu aurais besoin d’être dans le donner – recevoir ? d’attention ?  de bienveillance ?

« En langage CNV, on n’acquiesce ni ne s’oppose » (1)

Un dialogue se déroule en choisissant d’utiliser l’auto-empathie (clarifier ce qui se passe en nous), l’expression honnête (dire notre authenticité sans critique, reproche ou jugement) et l’empathie (l’écoute de l’autre), notre intention première étant de prendre soin dans la relation, de ce qui est vivant en nous, en l’autre et entre nous.

Dans la gestion d’un conflit avec la CNV, ces mêmes ingrédients vont être utilisés compte tenu du fait que :

– beaucoup de malentendus naissent d’interprétations différentes de la réalité ; que commencer par écouter et accueillir les observations de chacun permet de changer de regard et d’apaiser déjà des tensions.

– l’objectif est d’arriver à trouver une solution qui réponde simultanément aux besoins des deux protagonistes avec une stratégie peu coûteuse émotionnellement (sans concessions). On y arrivera en développant nos capacités de créativité.

En voici un exemple : Pour le choix des vacances, j’ai envie de partir à la découverte de contrées lointaines pour satisfaire mon besoin d’inspiration, de beauté, de stimulation de tous mes sens (un grand voyage pour fêter mes 40 ans !), mon compagnon lui, après une année éreintante, a un énorme besoin de repos et de calme. Nous optons finalement pour une croisière dans l’Océan Indien avec des escales exotiques qui rencontre nos besoins respectifs.

(*) qui s’acquièrent si notre intention est de prendre soin de la relation, par la pratique et surtout une prise de conscience que Marshall Rosenberg formule de la façon suivante : « Dès que je me mets en colère ou sur la défensive, dès que j’entends une attaque ou une exigence, je sais que je suis passé à côté du véritable message. Au lieu de me connecter à ce que l’autre vit, (pour me défendre) je me préoccupe de le juger, d’établir en quoi il est fautif (2). »

« En CNV, n’importe quelle insulte est (à comprendre comme étant) l’expression tragique de besoins inassouvis. » « Que veut cette personne, que lui manque-t-il (3) ? »

(**) les processus complets d’auto-empathie, d’écoute empathique et d’expression honnête « académiques » comprennent 4 étapes : l’observation (de faits concrets – de pensées), l’accueil ou l’expression de sentiments, les besoins à l’origine de ces sentiments, une demande à formuler à soi ou à l’autre qui ne soit pas une exigence (demande de connexion ou d’action)

Faut-il craindre le conflit ?

Jean-Philippe Faure voit « la confiance dans le conflit comme un des fondements d’une attitude non-violente. Cette confiance nous permet d’oser plonger dans le conflit quand le moment est opportun et quand il ne s’est pas encore alourdi du poids de non-dits (4). »

Pas évident de passer de la peur à la confiance … ou plutôt des peurs : peur de l’autre, de la différence, de se distinguer, peur de soi, de ses propres réactions, des parts de soi qu’on ne désire pas rencontrer, peur de renoncer à son point de vue, peur du changement, de la perte d’harmonie, peur de l’intensité des émotions, de la vitalité des besoins, de la distance, de la rupture, … 

Des peurs alimentées par des expériences familiales – que la culture de la famille ait été le conflit ou l’absence de conflit – par l’absence de « mode d’emploi » vu qu’on n’apprend pas (encore) à l’école à traverser un conflit de manière bienveillante et respectueuse pour chacun.

Pour gagner en sécurité, les partenaires peuvent se mettre d’accord préalablement sur un cadre :  par exemple se retrouver dans un endroit calme où ils ne seront pas dérangés, veiller à ce que les émotions fortes soient retombées (pouvoir dire STOP si on craint de ne pas pouvoir gérer), se retrouver en ÉTÉ (ÉTÉ pour Energie, Temps et Elan) pour se mettre dans les meilleures dispositions pour pratiquer l’empathie (5), …

Et comment opérer ce shift pour quitter la peur ?

En expérimentant la confiance que la confrontation à l’autre va apprendre à mieux connaître son partenaire, à entrer dans plus d’intimité avec lui (découvrir ce qu’il observe, ce qu’il ressent, quels sont ses besoins), à approfondir la relation, l’enrichir (dans le partage des différences, le soutien mutuel, le développement de la complicité, …).

Cette confrontation à l’autre nous fait nous rencontrer nous-même. Le chemin est l’accueil de nos parts lumineuses et de nos parts d’ombre, c’est leur acceptation qui nous fait grandir et gagner en conscience.

Vivre un conflit, c’est s’ouvrir au changement. Si l’on réalise que le changement est la seule réalité,  en abandonnant le contrôle pour un lâcher-prise sur ce qui nous échappe (dont la réalité de l’autre, la liberté de l’autre), on découvre de la légèreté, de la fluidité et une plus grande liberté.

Oser vivre le conflit, c’est au fond faire confiance à la vie. En accueillant nos sentiments et nos besoins et en veillant à nourrir ceux-ci, nous nous donnons l’occasion de nous incarner davantage, sinon on s’éteint à force de nier ses élans profonds ; c’est aussi accepter ses limites en renonçant à une forme de toute – puissance. C’est vivre dans la conscience de l’instant présent et prendre la responsabilité du choix de nos priorités.

Et « nous avons dans la vie le choix entre deux possibilités : avoir raison ou être heureux. (6) »

« La violence n’est pas dans le conflit mais dans nos habitudes à les éviter, dans notre peur de nos peurs qui nous pousse à reporter une opération libératoire. (7)»

Et le conflit, spécifiquement dans le couple ?

Pour Marshall Rosenberg, « le sens d’une relation de longue durée avec un ou une partenaire, c’est de se soutenir mutuellement au mieux pour traverser les aléas du développement de chacun et pour jouir de la vie commune que les partenaires se sont choisie. (8) »

Dans le couple, les sujets de confrontation sont potentiellement nombreux. « Le partage d’un territoire commun, les différences de rythme, d’éducation, d’intérêts des partenaires rendent les disputes pratiquement inévitables. » Les thèmes les plus souvent évoqués sont : l’argent, l’éducation des enfants, la sexualité, les familles d’origine, les loisirs, le partage des tâches ménagères. (9)

C’est une relation qui focalise aussi particulièrement les attentes. On y recherche bonheur, sécurité, stabilité, confiance, …

Dans le couple, nos exigences envers l’autre sont à la hauteur de la foi que nous avons en nos « fixations mentales » à propos de l’amour et du couple.

Elles se traduisent au niveau des idées en cherchant à le convaincre, en affirmant les choses de façon péremptoire, en imposant notre opinion. Au niveau des actes en lui mettant la pression, en l’obligeant, dans les cas extrêmes en le contraignant par la force.  Avec parfois une idée de punition à la clef (les menaces, le chantage affectif).

Quelques exemples de ces « fixations mentales » (10) :

  • des croyances : parmi celles-ci, la croyance en un pouvoir sur autrui : le  principe de hiérarchie ou de domination hérité de nos ancêtres qui mène aux rapports de force et jeux de pouvoir (11) ou « Nous sommes responsables de ce qui arrive à l’autre » (12)
  • des préjugés qui relèvent de la culture ambiante,  principalement de genre ici : « Les hommes ne pensent qu’à ça ! » ou « Les femmes sont compliquées ! »
  • des Illusions sur la relation de couple (« S’aimer, c’est tout partager ») ou l’être humain (« Il est l’homme idéal – elle est la femme idéale »)
  • les fantasmes du romantisme (« C’est lui qui va m’apporter le bonheur, qui va satisfaire tous mes besoins. »- on accorde un pouvoir à l’autre  –  « J’ai besoin de toi … » – on confond besoin et stratégie – « Je suis tout à lui ! » –  je me consacre à l’autre et je renonce à mes propres besoins,  je me nie pour lui)
  • des attentes (ex : que l’autre devine ce dont j’ai besoin – que l’autre soit disponible pour accueillir mes préoccupations, mes angoisses, …)
  • des espoirs (ex : que l’autre change ; qu’une relation dure toute la vie)
  • des idéaux (ex : de fidélité, d’harmonie, … )

Marshall Rosenberg voit par exemple dans la violence corporelle une dynamique qu’il met en relation avec le mythe que nous sommes responsables de ce qui arrive à l’autre. Et pour l’homme, s’il s’agit de la responsabilité de la jouissance sexuelle de la femme, mythe bien ancré, et que la femme se refuse à lui, « le voilà perdu, il est privé de sa masculinité ; c’est une très grave menace pour lui. (Il interprète un refus de sa compagne comme un rejet de sa personne, l’estime de soi en prend un coup) (13-1). Et le cercle vicieux s’enclenche : comment voulez-vous encore trouver du plaisir à votre sexualité dans ces conditions ?  Et plus la femme se retire et plus l’homme devient hargneux. Les deux protagonistes s’enfoncent dans le désespoir ; la peur les tenaille tous les deux. Le scénario est tout écrit : elle se retire de plus en plus et un beau jour, il la frappe. (13-2)»

Dans le contexte de violences physiques, réussir à fuir ou faire usage d’une force protectrice comme le préconise la CNV peut s’avérer bien sûr plus adapté que le dialogue et surtout utile si pas vital pour préserver son intégrité et sa sécurité.

Que propose la CNV à propos des fixations mentales ?

Y porter attention. Revisiter en profondeur nos systèmes de pensées en les faisant évoluer en les traduisant en termes de sentiments et besoins. « Si je veux faire autrement, je dois penser autrement. Cela demande du courage et de l’humilité » (14)

Prenons l’exemple de la croyance : « Un homme qui pleure, c’est une mauviette. »

Si l’homme écoute le sentiment qui l’habite quand il se dit ça, il entend une peur, celle de montrer sa vulnérabilité (puisque des millénaires d’un monde guerrier ont voulu d’un homme qui montre de la force et de la puissance, donc coupé de ses sentiments) et s’il s’écoute plus loin, derrière cela, vient une tristesse, celle de ne pas avoir ou pas assez avoir accès à la douceur, à la tendresse. Quand il se met réellement en lien avec ces besoins, la croyance disparaît.

Intégrer cela va permettre à l’homme de se détendre, d’accueillir l’instant présent avec confiance, de goûter des saveurs auxquelles il n’avait pas accès jusque-là, de s’ouvrir à de nouveaux possibles, tout bénéfice pour la-les personne.s qui partage-nt son quotidien.

Jean-Philippe Faure parle de « se désintoxiquer des croyances romantiques (15) » « pour retrouver le contact avec soi-même et avec son propre pouvoir. (16) »  

Le désir de prendre la responsabilité de ce que nous éprouvons, la bienveillance envers nous-mêmes, l’honnêteté, l ’authenticité et la conscience nous y aident. 

La croyance « Parce que tu m’aimes, tu es responsable de mon bien-être » se transforme en « Je réalise que j’attends de toi de deviner à chaque instant quels sont mes besoins, comment les satisfaire et en plus de les satisfaire. Je constate que c’est une exigence absolument irréaliste ! Pour veiller sur mon bien-être, j’ai besoin d’avoir la clarté sur ce que je souhaite et d’arriver à formuler des demandes « limpides » (concrètes, positives et négociables) à toi mon amour, et pas seulement à toi pour que tu les entendes comme de vraies demandes et pas des exigences. »  

Enfin se joue aussi au sein du couple un jeu de projections-miroirs : ce que nous ne supportons pas chez l’autre, ce que nous jugeons chez lui traduit un trait que nous avons du mal à accepter chez nous ou une difficulté liée à un besoin que nous n’arrivons pas à reconnaître chez nous et à nourrir   A titre d’exemple : L’autre, très sociable, se montre chaleureux et ouvert, cela me titille avec un brin de jalousie vu que je ne vois pas en moi ce trait de caractère. Alors pour dépasser cela j’accueille mes sentiments : colère, peur, tristesse. Je réalise combien mes besoins de confiance en moi et d’estime de moi sont à nourrir et je m’offre avec bienveillance un moment de chaleur et d’ouverture à moi-même avant de l’offrir ou le recevoir d’autres.

En pacifiant nos conflits internes (par l’auto-empathie ou en recevant de l’empathie), nos rapports avec l’autre qui nous stimule, vont évoluer et le conflit externe apparaîtra moins menaçant.

Et si la plus grand crainte d’aborder le conflit avec confiance est la peur de la rupture, la « recette » de Marshall Rosenberg pour minimiser le risque est la suivante :

« A mon avis, si deux personnes ont des échanges réguliers et honnêtes à propos de leur manière de voir les choses et de leurs intentions, elles ont beaucoup plus de chances de voir leur relation durer toute une vie que si elles ne le font pas. Il est bon que deux êtres refassent le point périodiquement sur leurs besoins et sur les stratégies qu’ils mettent en place individuellement ou en commun pour les satisfaire. S’ils sont attentifs à tout ce qui pourrait entraver leur désir de proximité et leur aspiration à maintenir un lien chaleureux entre eux, le fondement de leur relation devient si solide et bon à vivre que chacun d’eux décidera librement, jour après jour, de rester. (17) »

Le couple se révèle bien être un lieu de prédilection pour apprendre à se connaître et grandir dans l’amour et la conscience de ce qui se joue.

Un article écrit par Jacqueline De Picker

Remerciements à Florence Loos et Cathérine Schollaert pour leurs suggestions et relecture attentive

Sources :

  • (1) Marshall Rosenberg, Etre vraiment soi, aimer pleinement l’autre, éd. Jouvence, 2011, p. 118 
  • (2) Ibid., p.98
  • (3) Ibid., p.121
  • (4) Jean-Philippe Faure : Le couple, chemin d’écoute et de partage, éd. Jouvence, 2007, p. 133
  • (5) Françoise Keller, Découvrir la Communication NonViolente, éd. Interéditions, 2017, inspiré de la p.119
  • (6) Jean-Philippe Faure, op.cit.,p.99 – citation de Marshall Rosenberg
  • (7) Ibid, p. 133
  • (8) Marshall Rosenberg, Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, éd. Jouvence,2006, p. 141
  • (9) Serge et Carolle Vidal-Graf, Comment bien se disputer en couple, éd. Jouvence, 2005, p.5
  • (10) Jean-Philippe Faure, op.cit. inspiré des p.88 à 111
  • (11) Thomas d’Ansembourg – vidéo Un Monde nouveau, Une alliance nouvelle, 3 févr.2014
  • (12) Marshall Rosenberg, Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, éd. Jouvence,2006, p. 147
  • (13) Ibid., p.148 puis 147
  • (14) Thomas d’Ansembourg – vidéo Un Monde nouveau, Une alliance nouvelle, 3 févr.2014
  • (15) Jean-Philippe Faure, op.cit. p.97
  • (16) Ibid.,p.67
  • (17) Marshall Rosenberg, Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, éd. Jouvence,2006, p. 137

Illustrations vidéo de gestion de conflits de couple sans et avec la CNV :

Anne van Stappen : vidéo Humour partie 2, 31 mars 2020

Thomas d’Ansembourg – DVD Guerre et paix dans le couple