Dépendances ou addictions – un article d’Anne van Stappen

Souvent quand on parle d’addictions, on pense : drogue, sexe, alcool… ou on songe à quelqu’un d’autre que soi-même… Mais, hélas, nous avons TOUS nos dépendances…

Outre l’alcool, la drogue, le sexe, citons : le tabac, le shopping, le sucre, les réseaux sociaux, la télévision, l’ordinateur, le sport à outrance, le workaholisme, la solitude, la compagnie, la plainte, les comportements compulsifs (se laver les mains trente fois par jour, vérifier le gaz…) etc. etc.

Ainsi, cela me semble important pour beaucoup d’entre nous d’explorer de quoi il s’agit, d’où cela s’origine et, bien sûr, d’avoir des moyens concrets pour s’en sortir, si on le souhaite.

C’est ce que j’ai l’élan de partager ici avec vous.

Pour moi, la dépendance est un mécanisme compensatoire qui s’enclenche en un individu, suite à un vécu traumatisant ou à une répétition de faits blessants.

Cela dit, en Communication NonViolente® (CNV), plutôt que de coller à un être humain des étiquettes, du genre alcoolique, toxicomane…, on préfère se relier aux besoins, aux aspirations qui motivent ces comportements. Et c’est une différence de perspective qui constitue un changement majeur dans la façon d’appréhender et de soigner les addictions : avec cette posture, on tente de comprendre plutôt que de juger, et, ensuite, de cœur-prendre, ce qui est la clé de la transformation profonde et durable !

Avant d’envisager son soin, envisageons le mécanisme d’instauration d’une dépendance

Lorsque, durant notre enfance, nous rencontrons un traumatisme, nous sommes le plus souvent incapables de gérer la situation et/ou d’en métaboliser les conséquences et cela nous amène à faire l’expérience d’un ou de plusieurs besoins insatisfaits. Alors, une part de notre psyché se fige à l’époque où est survenu le traumatisme et durant laquelle on a vécu beaucoup de souffrance, mêlée à la non-satisfaction de besoins fondamentaux.

En conséquence émerge en nous une structure psychique, (voire plusieurs) visant à nous protéger de nouvelles souffrances. Alors, quand un autre événement – difficile aux yeux de nos parts préalablement blessées – survient dans notre vie (ou même quand une simple pensée nous arrive !), nous activons un mécanisme visant à nous protéger de la souffrance et à nous aider à continuer à fonctionner dans le monde.  

À ce moment-là, sans qu’on s’en rende compte, c’est le besoin insatisfait jadis qui est en fait le plus concerné. (Par exemple besoin d’être considéré, vu/accepté/aimé pour qui on est/ reconnu dans sa valeur).

Ce besoin se nomme un besoin gelé, car son insatisfaction s’est incrustée en nous depuis longtemps. Suite à sa non-satisfaction, nous pouvons expérimenter une profonde détresse et être très blessés dans certaines situations. Des dépendances s’initient alors en nous, à partir du vécu de besoins non satisfaits à un jeune âge, notamment le besoin d’être accepté tel qu’on est ou reconnu pour sa valeur. Cela engendre une douleur qui nous imprègne durablement et est fréquemment alliée à de la honte. Il est donc logique que nous cherchions des moyens, des stratégies pour satisfaire nos besoins et combler un vide existentiel d’autant plus présent que nous avons manqué d’amour, de chaleur, de présence… Ce à quoi nous aspirons surtout, grâce à notre addiction, c’est d’éviter la souffrance liée à des besoins gelés ou à des besoins chroniquement insatisfaits.

Cela dit, dans le présent, il est difficile de dissiper une ancienne souffrance associée à un besoin gelé, car, dans la situation donnée, on vise, au mieux, la satisfaction de besoins du moment. Ainsi, tant qu’on pense qu’une addiction concerne l’insatisfaction d’un besoin actuel, sa résolution est impossible.

Il est en outre important de comprendre que les événements déclencheurs du présent ne sont responsables ni du degré de souffrance vécue, ni des réactions enclenchées, dont la réaction d’addiction.

Quelques effets négatifs des addictions :

  • Une addiction diminue notre auto-estime, ce qui, à son tour, renforce souvent l’addiction.
  • Elle diminue nos chances de prendre conscience de nos besoins insatisfaits.
  • Si une certaine dose ne satisfait pas nos besoins, nous aurons tendance à l’augmenter.
  • Une seule addiction est souvent attrayante parce qu’elle satisfait rapidement plusieurs besoins : par exemple, à court terme, l’alcool peut nous relaxer, nous rendre plus sociables, assoupir notre manque d’estime personnelle et étouffer notre honte, y compris la honte de l’addiction. Mais, hélas, le soulagement vécu grâce à une addiction empire généralement la situation sur le long terme. Or, c’est souvent la seule stratégie que nous connaissons pour satisfaire rapidement plusieurs besoins essentiels !
  • Quand, enfant, on a vécu des traumatismes et manqué de soins affectifs (amour, chaleur, présence…), cela a engendré des dommages dans nos circuits neuronaux et dans divers tissus du corps et ça a également produit en nous des déficits de certains neurotransmetteurs qui procurent un sens de plaisir, de satisfaction, d’optimisme, de motivation : mentionnons la sérotonine, la dopamine, les opiacés. Cela nous rend inévitablement enclins à chercher des stratégies pour satisfaire notre vide existentiel ou pour simplement essayer de survivre.

NB : il a été observé que, si l’on a été victime d’abus (physique, émotionnel ou spirituel), on sera davantage enclin aux addictions.

Heureusement, il existe des moyens pour amorcer la distanciation d’une dépendance ou pour s’en libérer. Voici un exercice aidant :

1. Entrez en contact avec l’énergie de la dépendance. Imaginez-vous être aux prises avec elle et demandez-vous : Comment est-ce que je sens ce qui se passe dans mon corps, juste avant de plonger sur ma stratégie habituelle ? Que dit ma sagesse corporelle ? D’où me vient cette urgence de satisfaire quelque chose ? Contactez l’urgence de votre addiction. Ce n’est pas une affaire de pensées, mais de sensations.

2.Faites deux colonnes distinctes et notez dans l’une d’elles les besoins assouvis par l’addiction et dans l’autre les besoins non assouvis par l’addiction. Cela peut prendre un certain temps. Offrez-vous celui-ci. Vous saurez que vos colonnes sont complètes quand vous ressentirez un soulagement intérieur ou un ha-ha par rapport à ce qui est écrit.

Voici ce que cela pourrait donner pour une addiction à l’alcool :

Besoins satisfaits : chaleur, fête, décontraction, légèreté, lien social, aisance…

Besoins insatisfaits : clarté d’esprit, liberté de choix, sécurité, santé, lien social profond

3. À partir des besoins inassouvis par l’addiction, accomplissez une étape cruciale et qui demande du temps ! Partez à la recherche de besoins dits « plus profonds », appelés aussi qualités du vivant. En effet, nous avons tous différents niveaux debesoins : certains de nos besoins sont l’expression d’une attente de quelque chose de la part d’autrui (Considération, compréhension, reconnaissance, aide…), et d’autres représentent plutôt une offrande qu’on aimerait faire au monde (Contribuer à la vie, donner le meilleur de soi, créer du beau, être pleinement soi-même, avoir une vie qui a du sens, se réaliser).

Tous nos besoins, quel que soit leur niveau, représentent une part de notre humanité et sont légitimes. Cela dit, si, par manque de connaissance de nous-mêmes, nous ne connaissons que nos besoins en attente de quelque chose de la part de l’extérieur, sans avoir découvert nos aspirations plus profondes (comme de contribuer au monde…), cela nous rend davantage dépendants de l’extérieur, or, ce que nous cherchons ici, c’est justement à être plus libre ! D’où l’importance, pour développer notre autonomie, de faire la clarté sur les multiples niveaux de besoins qui nous habitent.

Pour nous y aider, voici 2 questions à nous poser, au choix, à chaque besoin découvert : Quand tel besoin est assouvi, que se passe-t-il pour moi ? Qu’est-ce que cela permet ?

Exemple : imaginons qu’un sujet ait mesuré qu’il a besoin d’avoir la liberté de choisir de préserver sa clarté d’esprit. Il pourrait se demander : si j’avais l’esprit clair, qu’est-ce que cela permettrait pour moi ? Qu’est-ce qu’il se passerait ? Peut-être que cela permettrait l’estime de moi ? Et si j’avais plus d’estime de moi, qu’est-ce que cela permettrait ? Qu’est-ce qu’il se passerait ? Je vivrais de la détente, de la fierté. Et, si j’étais détendu et fier, qu’est-ce que cela permettrait ? Cela me permettrait de mieux m’intégrer socialement. Et, si je m’intégrais, qu’est-ce qu’il se passerait ? Mon élan vital serait dynamisé. Et, si mon élan vital était dynamisé, qu’est-ce que cela permettrait ? Il y aurait plus de joie et de sens dans ma vie. Et, si ma vie avait de la joie et du sens, qu’est-ce que cela permettrait ? Donner le meilleur de moi etc.

Le besoin de donner le meilleur de soi est un besoin profond, moteur et inspirant. Sa beauté est suffisamment grande pour « tenir le niveau » des plus alléchantes addictions !

4. Prenez le temps de ressentir pleinement vos vécus émergents en lien avec chaque besoin de chaque colonne. Cette étape est capitale et ne sera utile que si vous l’accomplissez sans vous juger et jusqu’à ressentir le fameux ha-ha intérieur. Éprouvez par exemple pleinement votre enthousiasme quand vous faites la fête, ainsi que votre mal-être quand vous n’êtes pas libre de vos choix, etc.

5. Célébrez ensuite la beauté de chaque besoin des deux colonnes : en soi, un besoin, c’est appréciable, ça représente la Vie ! Ici, l’essentiel est de célébrer la beauté de vos intentions, en vous souvenant qu’unproblème ne réside jamais dans un besoin, mais dans la façon par laquelle on tente de le satisfaire.

Les étapes 4 et 5 sont vitales parce qu’elles nous amènent à honorer et à apprécier ce qui constitue notre humanité propre. Et l’amour de soi est une part essentielle de la guérison, tout en se souvenant que cet amour n’a rien à voir avec se laisser faire tout et n’importe quoi !

6 . Explorez dans votre vie s’il y a déjà des actions par lesquelles les besoins assouvis par votre addiction sont également satisfaits, mais d’une autre manière, moins coûteuse (évitez de troquer l’alcool pour le tabac !). Voyez comment vous pourriez multiplier ces actes-là. Une grande part de votre travail consiste à imaginer diverses stratégies pouvant assouvir ces besoins. Et comme une seule dépendance a la capacité de satisfaire rapidement plusieurs besoins, si on veut qu’elle nous lâche, il est crucial d’être créatif et de trouver plusieurs façons de satisfaire les besoins satisfaits par la dépendance.

NB : Si, avant de plonger dans une addiction, vous parvenez à vous donner quelques minutes d’écoute, vous augmentez vos chances de recul par rapport à celle-ci. Mais ce n’est pas toujours possible, et, dans ce cas, il sera bon d’explorer les paramètres de la situation en dehors des moments difficiles. On ne quitte pas une dépendance, mais elle nous lâche peu à peu quand, connaissant les besoins qu’elle cherche à satisfaire, on tente de les assouvir d’une autre façon.

Exemple : C’est le soir, vos enfants sont surexcités, vous êtes fatigué et irritable et vous pensez : Une cigarette va me calmer. Juste avant de l’allumer, si vous y parvenez, demandez-vous : Qu’est-ce que je sens ? À quoi est-ce que j’aspire maintenant ? Prenez un temps pour être bienveillant avec vous-même, puis demandez-vous : bien sûr, le tabac satisfait mon besoin de détente…, mais, comment est-ce que je pourrais me détendre, si je ne fumais pas ?

C’est aidant de se dire :

• Je suis un être humain qui fait du mieux qu’il peut, avec ses forces, ses faiblesses, son éducation, ses conditionnements… 

• Ma compréhension bienveillante de moi-même n’a rien à voir avec de la complaisance vis-à-vis de mes comportements.

Notions-clés :

• Si on réussit à ne pas voir l’arrêt du comportement comme étant synonyme de succès (et donc la continuation de celui-ci comme un échec), en d’autres termes, si on s’enlève toute pression de résultat, cela aide considérablement ! Cela facilite donc notre travail quand notre entourage est sans attente de résultat et qu’il ne nous juge pas, surtout quand notre comportement l’impacte négativement…

• Il est essentiel de mettre en place, pendant plusieurs semaines, de nouvelles stratégies qui satisfont nos besoins habituellement assouvis par l’addiction.

• Quand assez de nouvelles stratégies sont installées et qu’assez de feedbacks soutenants ont été intégrés, notre addiction deviendra moins attirante ou bien on optera par nous-mêmes pour un programme de désintoxication.

• Quand nous nous connectons à nos besoins insatisfaits dans le moment, nous ouvrons un espace de changement et pouvons envisager d’autres façons de les satisfaire. Donc, si on fait la clarté sur nos besoins, sans nous focaliser outre mesure sur notre addiction (afin d’éviter la honte souvent associée à celle-ci), cela nous aide à trouver des façons autres que de plonger sur une assuétude pour satisfaire un besoin gelé.

Dans la situation de la page 3, avec les enfants : si on souhaite être davantage en paix, cela nous aidera de respirer plus lentement ou de développer une compréhension bienveillante vis-à-vis de notre part irritée ou fatiguée… (= se dire : tu fais du mieux que tu peux, avec tes forces et tes faiblesses…)

Et quels sont les autres apports de la CNV pour qu’une addiction nous lâche ?

Pour initier la résolution d’un traumatisme, il est nécessaire d’accéder au cerveau limbique, afin d’y créer de nouveaux circuits neuronaux. Cela se fait à l’aide de thérapies spécifiques, dont le jeu de rôle de guérison* tel que pratiqué en CNV. Il est possible d’instaurer en l’être humain une nouvelle mémoire cérébrale, grâce à ces jeux de rôle qui associent l’auto-empathie, l’auto-compassion, l’empathie, la présence inconditionnelle, l’assertivité et la gratitude. Ces mises en situation permettent le ressenti de vécus associés à la satisfaction de certains besoins essentiels.

Quand le cerveau d’un individu enregistre comment se ressent l’expérience d’avoir des besoins satisfaits, alors qu’il ne l’a jamais éprouvée auparavant, il s’établit en lui de nouvelles voies neuronales qui vont peu à peu amener une addiction à le quitter. Il est capital que, parallèlement à cela, la personne instaure dans sa vie une discipline constituée par l’apprentissage de stratégies visant à satisfaire ses besoins gelés par d’autres façons que par l’addiction.

L’essentiel visé par un jeu de rôle est de réaliser une micro-chirurgie réparatrice du cerveau qui amène la personne concernée à expérimenter dans sa chair le ressenti de la satisfaction de besoins qui n’ont pas encore été assouvis jusqu’alors. Sentir, goûter, percevoir dans son corps l’énergie vivante de besoins insatisfaits durant son enfance est guérisseur ! Et, en découvrant ses besoins, le sujet peut commencer à se comprendre et à se cœur-prendre, au lieu de se juger. Son énergie globale dynamisée deviendra alors une aide pour faire dans sa vie d’autres choix que ceux de l’addiction. C’est via la prise de conscience des besoins assouvis par une addiction qu’il est possible d’imaginer de nouvelles stratégies pouvant satisfaire les besoins insatisfaits. Pour cela, connaître nos besoins profonds nous aide encore plus, car cela nous libère de nos attentes et dépendances en nous faisant découvrir comment nous relier à plus inspirant, plus motivant que celles-ci.   

Après quelques séances, le sujet qui aura vécu dans son cerveau la création de nouvelles passerelles neuronales nourricières sera plus libre de son addiction et désirera davantage la quitter. C’est ce que je souhaite à chacun.e sur ce chemin.

Biographie, authenticité…

Lors de ma rencontre avec la CNV, le sujet des dépendances m’a particulièrement touchée car je suis issue d’une famille où certaines croyances, parmi d’autres, ont fait le lit de mon éducation… Ainsi, dans mon enfance, j’entendais mon père prononcer des slogans du genre : Quand on boit un p’tit verre, on se sent mieux… L’eau sert seulement à se laver les dents… et, quand j’avais moins de dix ans, il affirmait : Dans notre famille, on doit savoir « tenir l’alcool »… Ainsi, alors que je n’en appréciais pas le goût, j’acceptais les p’tits verres qu’il me proposait parce que j’avais à cœur de lui faire plaisir. Et j’ai découvert bien jeune la chaleur, la décontraction et la détente que me procurait un p’tit coup de rouge

En outre, ma maman étant très agacée de m’avoir eue comme deuxième enfant – alors qu’elle aurait voulu n’en avoir aucun -, m’appelait souvent arsenic et c’était dur à vivre pour la petite fille de l’époque…

Alors, vous pouvez imaginer à quel point les jeux de rôle de guérison furent une aide précieuse pour accueillir ma peine et ma peur de déranger en existant. Ils m’ont aidée à connaître mes besoins et m’ont donné des idées pour m’en occuper autrement qu’avec un p‘tit verre

Grâce à ma rencontre avec la CNV, j’ai fait deux prises de conscience fondamentales : 1) J’avais des besoins tout à fait légitimes et je gagnerais à en prendre soin ; 2) Plusieurs de ceux-ci étaient aussi essentiels qu’insatisfaits : estime de moi, confiance en la vie, sécurité d’être bienvenue, tendresse, guidance et repères sains dans la vie… Ainsi, j’ai alors, peu à peu, appris à prendre ceux-ci en compte, sans me nuire.

Je suis successivement devenue Docteure en médecine, fermière et cavalière internationale en dressage équestre, formatrice certifiée en CNV (1995), et auteure d’ouvrages contribuant au développement personnel. (On offre souvent au monde ce qu’on a eu besoin d’apprendre et qui nous a fait du bien !)

Mes Petits cahiers, publiés aux éditions Jouvence, se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires. Et mon roman, Ne marche pas si tu peux danser, initiatique de la CNV, a permis à plus de 60.000 lecteurs de découvrir la CNV. Le sujet des addictions est abordé théoriquement et pratiquement dans le Petit cahier d’exercices pour écouter ses besoins profonds, ré-éditions Jouvence, septembre 2024

Docteur Anne van Stappen

Formatrice certifiée en CNV, Ecrivain, Conférencière

www.annevanstappen.be

Chaine YouTube : Cœur Naturellement Vibrant

Cours en ligne : https://etreplus.podia.com/introduction-cnv-anne-van-stappen