Par Wayland Myers, Ph.D.
Traduit de l’américain par J. De Picker et les membres de l’équipe de l’ACNV-BF asbl
Il y a de nombreuses années, j’ai entendu un conseiller en désintoxication dire : « Le détachement est un moyen par lequel nous permettons aux autres d’apprendre à mieux prendre soin d’eux-mêmes. » Je me sentais confus et perturbé. J’étais un parent. La vie de mon enfant adolescent et notre famille étaient ravagées par sa lutte contre la drogue et l’alcool. Est-ce qu’on me disait que je ne devais pas essayer de l’empêcher de consommer de la drogue et de l’alcool ? Que je ne devais pas essayer de le protéger de lui-même ou de contrôler sa guérison ? J’avais déjà entendu parler de ce « détachement aimant » et cela ressemblait à une forme auto-protectrice d’abandon. Mais ce conseiller l’a présenté comme un cadeau. Comment était-ce possible ?
Au fil du temps, j’ai commencé à comprendre ce que le conseiller voulait dire. J’ai lentement découvert plusieurs bénéfices mutuels découlant de la pratique du détachement aimant lorsque j’essayais de soutenir une personne aux prises avec une dépendance. Puis, j’ai vu que ces avantages pouvaient être transposés dans d’autres situations que je trouvais difficiles. Comme lorsque j’étais en relation avec une personne atteinte d’une maladie chronique qui nécessitait de prendre soin d’elle-même avec sagesse sur de longues périodes et que je craignais qu’elle n’y parvienne pas. La dépression, le diabète, le trouble du déficit de l’attention et la schizophrénie me sont venus à l’esprit. Puis je me suis demandé ce qu’il en était des personnes qui avaient du mal à acquérir des compétences de vie complexes comme des habitudes d’étude efficaces, la recherche d’un emploi, la gestion de leurs finances personnelles, la gestion de leurs amitiés et de leurs relations amoureuses. Mes interventions dans ces processus d’apprentissage causaient parfois plus de problèmes qu’elles n’en résolvaient. Peut-être qu’un détachement aimant aurait été utile dans ce cas également. Avec ces visions élargies, je suis devenu très enthousiaste quant à la valeur d’apprendre à être solidaire et à être détaché avec amour en même temps.
J’ai développé mes premières compréhensions du détachement aimant en même temps que je développais mes premières compréhensions et compétences d’une pratique de communication développée par le psychologue Marshall Rosenberg, PhD., qui s’appelle la Communication Non Violente. J’ai découvert que ces deux approches partageaient des valeurs fondamentales et qu’elles étaient mutuellement complémentaires. Par exemple, la Communication Non Violente suggère d’utiliser une inspiration guidée par la compassion comme moyen pour les personnes de rencontrer leurs besoins plutôt que la coercition, la manipulation ou les exigences. La Communication Non Violente valorise fortement le respect interpersonnel – toutes les parties s’accordant mutuellement le droit d’être qui elles sont et comme elles sont. De plus, la Communication Non Violente encourage chacun à prendre soin de soi. Tout cela fait partie du détachement aimant. Les idées et les valeurs de la Communication Non Violente ont grandement enrichi ma compréhension de la manière dont le détachement peut être une forme d’amour pour tous. Examinons donc de plus près le détachement aimant.
Tout d’abord, une définition : Actuellement, je me considère comme détaché et aimant lorsque : Je suis disposé et capable de faire preuve de compassion et de non-jugement :
· de permettre aux autres d’être différents de moi,
· de leur accorder la dignité de leur permettre de s’auto-diriger,
· de maintenir une attitude d’espoir et de bienveillance envers eux.
Lorsque je suis capable de faire ceci, quels bénéfices est-ce que j’y découvre ? Voici quatre façons qui montrent pour moi que le détachement est aimant pour mes proches et quatre façons dont j’ai découvert qu’il est aimant pour moi.
Comment le détachement est aimant pour les autres :
I. Les personnes dont je me soucie peuvent apprendre à regarder en elles-mêmes et à se faire confiance pour s’auto-diriger, y compris quand et comment demander de l’aide.
Si je m’abstiens d’essayer de gérer leur situation problématique, les personnes dont je me soucie peuvent apprendre quelque chose sur la façon de penser par elles-mêmes, de résoudre des problèmes et quand et comment demander de l’aide. Elles peuvent apprendre à mieux écouter leurs sentiments et leurs intuitions, à prêter attention à ces petites voix que nous aimerions tous écouter plus souvent. Elles peuvent apprendre à mieux reconnaître quand elles ont besoin d’aide et comment la demander de manière à se sentir bien plutôt que gênées ou honteuses. En bref, les laisser gérer leurs affaires leur permet de puiser dans leurs propres ressources intérieures plutôt que dans les miennes, et à partir de cette expérience directe de leurs capacités, aussi tâtonnantes ou incertaines soient-elles, elles peuvent développer une certaine compétence et l’expérience de sa propre compétence est la voie la plus puissante et la plus naturelle pour construire la confiance en soi, une assurance accrue et l’estime de soi.
II. Elles peuvent en apprendre davantage sur les causes et les effets.
Mon absence d’intervention permet aux autres d’avoir une expérience ininterrompue de la relation de cause à effet entre leurs actions et les conséquences naturelles de ces actions. Mon implication non sollicitée pourrait déclencher une réaction malheureuse et créer un conflit en soi. Le risque ici est que ce conflit ainsi généré devienne le seul focus de leur attention, et que les opportunités pour elles d’apprendre autant qu’elles le pourraient de la rencontre complète et ininterrompue avec leurs conséquences naturelles soient diminuées ou perdues par les suites de ce combat contre moi.
III. Elles peuvent expérimenter la motivation de continuer ou de changer.
Les expériences agréables et douloureuses nous incitent souvent à répéter ce qui nous a apporté de la satisfaction et à changer ce qui ne nous en a pas apporté. Nous utilisons tous ce type d’énergie émotionnelle pour nous aider à avancer et à améliorer notre expérience de vie. Ces énergies motivantes naissent naturellement en nous et il est beaucoup plus facile d’y répondre que les tentatives des autres de nous motiver par la culpabilité, la peur, la manipulation ou une forme quelconque de coercition.
IV. La découverte de soi et le plaisir d’être soi-même peuvent augmenter.
Si j’accorde aux autres la liberté de penser, de ressentir, d’évaluer, de percevoir, etc., comme ils le souhaitent, et qu’ils se détendent parce qu’ils se sentent respectés et en sécurité, ils pourraient découvrir beaucoup de choses nouvelles sur eux-mêmes. Ils pourraient découvrir ce qu’ils aiment, ressentent ou pensent vraiment. Ils pourraient avoir des moments de grâce créative qui les inspirent, les excitent et les encouragent. Ils pourraient s’inventer de nouveaux rêves, plus satisfaisants pour leur vie que ceux qui seraient apparus sous les contraintes de ma présence contrôlante.
Maintenant, qu’en est-il des avantages que me procure le détachement aimant ?
Comment le détachement est aimant pour moi :
I. Je suis soulagé de la tension de tenter l’impossible.
À ce stade de ma vie, j’ai conclu que la seule chose que je pourrais un jour être en mesure de contrôler est mon attitude envers ce qui se passe. Les autres humains sont comme des « poulets élevés en plein air », peut-être capables d’être influencés mais jamais contrôlés par moi (à moins que je ne puisse les contraindre physiquement, ce qui ne fait que contrôler là où ils sont et limiter peut-être leur comportement). Si j’accepte mon impuissance à contrôler la vie intérieure et les volontés des autres, et me détache de mon désir de contrôler l’autre, je me libère du stress et de la tension que représente l’impossibilité de faire ce qui ne peut être fait. C’est pour moi une façon essentielle de créer plus de sérénité dans ma vie. En fait, si je pratique ce processus suffisamment profondément, j’arrive parfois au point où je ne me fais aucune opinion sur ce que l’autre devrait faire. C’est un moment véritablement libérateur et rafraîchissant pour nous deux.
II. Ce que les autres pensent de moi ne peut plus me concerner.
Si je suis impuissant à contrôler les pensées, les perceptions, les valeurs ou les émotions d’autrui, je peux alors me libérer de la nécessité d’accepter ou de réagir à son opinion sur moi. Je viens d’écouter un podcast dans lequel une chercheuse en neuropsychologie a partagé une stratégie intéressante et amusante que son mari a mise au point pour se libérer lorsqu’on entend quelqu’un partager son opinion sur soi. Il a dit : « Souvenez-vous simplement que ce qu’ils pensent de vous n’est qu’un processus bioélectrique qui se produit dans leur cerveau. » J’aime l’opportunité que m’offre cette compréhension de rester détaché du résultat de ce processus bioélectrique.
III. Je peux consacrer mon attention et mon énergie à améliorer ma propre vie.
J’ai plein de problèmes dans ma vie. Être obsédé par la vie d’autrui est parfois une façon pour moi d’éviter de faire face à la souffrance qui m’habite. Si je passe trop de temps et d’énergie à m’obséder sur la vie d’autrui, je ne passe pas assez de temps à me concentrer sur la mienne. Si je fais cela, ma vie risque de rester dans un statu quo insatisfaisant ou de devenir encore plus ingérable. Le détachement aimant me permet d’investir mes énergies dans ma vie.
IV. Je peux exprimer mon amour ou mon attention de manière à apporter joie et satisfaction aux deux (moi et l’autre)
Lorsque quelqu’un dont je me soucie est aux prises avec un problème ou souffre émotionnellement, je veux généralement lui apporter mon soutien ou mon aide. Mais je veux offrir le type d’aide qu’il m’est plaisant de donner et lui ferait plaisir à recevoir. L’une des façons dont j’ai développé une image de ce à quoi cette aide pourrait ressembler est de me rappeler des moments où des amis ou d’autres personnes attentionnées m’ont aidé d’une manière que j’ai appréciée. Qu’ont-ils fait ? Bien qu’ils ne montrent aucun signe qu’ils se sentent responsables de résoudre mes problèmes, ils m’ont offert quatre choses :
· leur écoute compatissante et empathique de la façon dont je percevais et ressentais ma situation,
· leurs expériences et les leçons que j’ai tirées de ces situations similaires,
· leur optimisme sincère quant à mes capacités à surmonter mes difficultés,
· leur volonté d’aider, selon mes conditions, d’une manière qui correspond à leurs besoins.
Se voir offrir de l’écoute profonde, de la compagnie, des encouragements et une assistance, mais pas d’interférence, est l’aide la plus satisfaisante que j’ai connue. Offrir cela aux autres augmente à la fois la joie dans ma vie et mon estime de moi-même.
Ma pratique du détachement aimant offre une opportunité pour que nos deux vies soient améliorées. La vie de ceux que j’aime peut être améliorée parce que je respecte suffisamment leur capacité à prendre soin d’eux-mêmes pour leur permettre de récolter les bénéfices potentiels de lutter, d’apprendre et de réussir par eux-mêmes. Ma vie s’améliore parce que j’évite la détresse inutile, que je conserve de l’énergie pour mon propre usage et que j’offre de l’attention et du soutien d’une manière qui m’apporte de la joie. De cette manière, le détachement aimant joue un rôle puissant et gratifiant en m’aidant à la fois à vivre et à laisser vivre.
Décider si, quand et comment :
Comment vais-je décider de la manière dont je souhaite procéder ? Voici certaines des choses que je prends en compte :
1. Quelle action – aider ou se détacher avec amour – renforcera le plus mon proche à long terme, selon moi ? C’est ma question principale. Je veux contribuer à renforcer son bien-être à long terme.
2. « L’aide » que je pense lui apporter implique-t-elle de prendre en charge une responsabilité qui lui incombe normalement, mais qu’il n’assume pas au niveau que je considère comme le meilleur ? Est-ce que je me souviens pour lui, que j’organise pour lui, que je planifie pour lui, que je fais la paix pour lui, que je m’excuse pour lui, que je garde une trace de quelque chose pour lui, que j’anticipe les conséquences pour lui ? J’ai souvent constaté que tant que je continue à m’occuper de tâches comme celles-ci pour mes proches, leur niveau de performance au travail s’améliore rarement et ils n’apprécient souvent pas mes interventions. « Amusant », non ?
3. Est-ce que la crise pour laquelle je suis tenté de les aider a une conséquence naturelle qu’il pourrait être plus utile pour eux de rencontrer et de gérer que de m’engager dans une tentative d’atténuer leur douleur ? Cette décision est également éclairée par mon estimation des niveaux de préjudice émotionnel ou physique auxquels ils pourraient être exposés et du niveau de capacité et de ressources dont ils disposeraient si leurs choix devaient entraîner une grave détérioration de la situation.
En prenant des décisions à propos de si, quand ou comment réagir ou s’impliquer dans le combat d’autrui, j’ai découvert que la meilleure façon pour moi de résoudre tous ces dilemmes est de me poser cette question : « Quelle façon de réagir est-ce que je pense pouvoir vivre le mieux sur le long terme ? »
J’espère que ces réflexions et suggestions vous aideront à déterminer quand, comment et dans quelle mesure aider ceux que vous aimez et à vous sentir plus à l’aise lorsque vous choisissez avec amour de vous abstenir.
Pour moi, le détachement aimant ne se fait pas sans peine. Je ressens souvent de la culpabilité, de l’inquiétude et du doute. Mais ma souffrance est tempérée lorsque je crois qu’en résistant à mon envie d’aider, je peux offrir à la personne que j’aime la plus haute forme d’amour possible.
Je vous souhaite compassion, clarté et courage alors que vous naviguez dans ces eaux complexes.