Cultiver l’amour et grandir de nos différences

Cultiver l’amour ? Comme notre jardin ? Comme si l’amour n’allait pas de soi ? Comme s’il fallait ‘travailler’, faire des efforts pour qu’il vive ? Quelle drôle d’idée, se diront peut-être certains ! Si l’on s’aime vraiment, cela devrait être simple, naturel et spontané !…

Et c’est effectivement le cas, la plupart du temps, dans les premiers mois, parfois même les premières années de la relation. Pendant cette période bénie où chacun est au meilleur de lui-même et capable de voir le meilleur en l’autre. Cette période où les défauts de l’autre nous semblent si charmants…, où il nous semble nous accorder et nous compléter tellement parfaitement, où le contact de l’autre, le son de sa voix, son regard nous font délicieusement vibrer à chaque instant que nous partageons…

Nous pouvons alors penser que, si nous nous aimons vraiment, cela devrait durer toujours.

Et si ce n’est pas le cas, il y a un problème… et le problème, c’est sûrement l’autre…

La réalité, c’est que les conflits, les crises, les blocages et les passages à vide font partie du chemin et peuvent être transformés en de merveilleuses occasions d’apprendre et de grandir.

La réalité, c’est que la relation ne va pas de soi.

L’amour véritable est un choix de chaque instant, fait d’actes conscients pour prendre soin de la relation.

C’est le choix de vous offrir du temps, de la présence, de l’écoute et de nourrir régulièrement la relation de choses qui la vivifient : appréciation, gratitude, rêves, projets, jeu, fantaisie, sensualité…

Le choix de se tourner vers l’autre, de contribuer à ses besoins, de l’écouter, même et surtout lorsque ça coince et qu’il nous est difficile d’accepter son comportement différent …

Le choix d’oser partager à l’autre notre vérité avec bienveillance et authenticité, même lorsque nous préférerions nous taire pour ne pas blesser ou ne pas créer de remous…

C’est bien beau tout cela, me direz-vous, mais ce n’est pas si facile ! …

En effet, c’est parfois dans le couple, avec l’être qui nous est le plus cher, qu’il nous est le plus difficile de vivre ce chemin d’expression authentique et d’accueil bienveillant de soi et de l’autre.

Car l’autre est à la fois le miroir des plus belles parts de nous-même (ex: je me reconnais et me sens en affinité avec l’altruisme et la générosité de mon partenaire), de celles auxquelles nous n’arrivons pas à donner la place (je lui en veux de faire les choses comme il/elle a envie et de ne pas tenir compte de moi- je ne m’écoute pas et ne prends pas soin de mes besoins) et de celles que nous renions (je le/la trouve impatient/e – je ne reconnais pas mon impatience dans certains domaines ou l’impatience tout au fond de moi que j’ai appris à refouler)…

Le partenaire que nous avons choisi est souvent la personne la plus apte à « pousser sur les bons boutons », ceux qui déclenchent nos réactions émotionnelles (qu’elles s’expriment avec plus ou moins d’intensité ou par la fermeture ou la fuite). Ces réactions sont liées à nos histoires, aux manques et aux blessures de nos enfants intérieurs et les sentiments que cela réveille sont là pour nous inviter à aller voir et transformer nos blessures et les mécanismes de survie que nous avons mis en place. Ces mécanismes nous ont aidés, jusqu’à un certain point, mais peuvent aussi nous empêcher d’être pleinement dans la Vie.

L’autre est précisément là pour nous rappeler (inconsciemment, par son comportement qui nous fait réagir) d’y prêter attention.

Françoise est exaspérée par « l’inertie, le manque de dynamisme, la paresse, le mutisme » de son conjoint, Guillaume… (Nous sommes bien d’accord, ce sont de gros jugements… mais ne les mettons pas trop vite à la poubelle. L’important n’est pas de ne pas juger mais plutôt de ne pas s’identifier à nos jugements. Ce sont de précieux indicateurs pour aller voir au fond d’elle ce qui l’anime et ce avec quoi elle n’est pas en paix.)

Dans ce cas, en essayant de mieux comprendre et exprimer à l’autre ce qui l’habite, elle pourrait identifier ce qui, dernièrement, a déclenché son exaspération, qu’elle a réagi avec énervement (et cela a même déclenché une dispute qui s’est bien vite soldée par le repli de Guillaume dans le silence) lorsque qu’elle lui a proposé de planifier les vacances et qu’il a répondu qu’ils étaient bien chez eux et qu’il avait juste envie de se reposer. Elle observe que cela fait plusieurs mois qu’il n’a pas proposé et qu’ils n’ont pas partagé une sortie, une activité, un projet et n’en a pas entrepris pour lui-même…

Elle peut alors se connecter à sa colère, sa frustration mais aussi son découragement et sentir combien elle aspire à être dans l’action, le mouvement, combien elle a besoin de changement, d’évolution…et surtout, à travers tout cela, finalement, de se sentir vivante, dans la relation… et en elle.

Elle pourrait alors prendre soin de ces besoins pour elle-même, (p.ex, entreprendre des activités, se consacrer à des projets qui la passionnent et dans lesquels elle se déploie et se sent vivante…).

Cela pourrait déjà lui permettre d’être moins dans l’attente vis-à-vis de Guillaume, de cesser de lui en vouloir de ne pas contribuer à ses besoins.

Parfois, ce chemin d’auto-empathie qui nous connecte à nous-même et nous permet de reprendre la responsabilité de nos besoins peut déjà apaiser et transformer les difficultés et elle pourrait avoir envie de s’arrêter là.

Dans la relation, elle pourrait aussi se contenter d’exprimer une demande, de faire une proposition dans le sens de ses besoins (p. ex. de prendre un temps chaque semaine pour une activité ensemble que chacun à son tour proposerait)

Il serait cependant encore bien plus précieux d’oser aussi partager à son conjoint ce qu’elle a connecté de ses sentiments et ses aspirations profondes. Cette expression authentique peut être un cadeau pour l’autre et fait partie du carburant qui nourrit l’amour et permet à nos cœurs de se rouvrir.

Et il serait aussi essentiel qu’elle puisse accueillir vraiment ‘le paysage’ de Guillaume, se laisser toucher par sa réalité, son vécu, son ressenti au-delà des comportements qui la font réagir.

Mais ce n’est pas si facile, lorsque ce qui se passe dans l’instant dans la relation nous blesse et peut parfois fermer notre coeur et/ou déclencher des réactions émotionnelles intenses. Nous nous sentons alors parfois bien incapables de nous exprimer et d’écouter l’autre avec bienveillance, quel que soit notre bagage et notre expérience de la CNV.

Alors que faire ?

Au moment de la dispute, si elle prend conscience qu’elle s’emporte, Françoise pourrait choisir d’arrêter l’escalade en cours et d’aller se calmer dans un autre endroit. Et Guillaume pourrait exprimer qu’il ne se sent pas capable d’en parler maintenant mais qu’il est d’accord d’en reparler dès que possible.

Et si ils n’y arrivent pas et ne peuvent s’empêcher de se disputer, il n’y a pas à s’en vouloir, juste accepter qu’ils ont fait chacun du mieux qu’ils pouvaient. Mais de toute façon, il est primordial de ne pas passer à autre chose comme si de rien n’était. Même si les choses semblent apaisées, ce qui n’a pas été nettoyé risque fort de revenir à la surface à la prochaine occasion ou de fermer leur coeur et d’abîmer la relation.

« Si on ne partage pas, dans la relation, les petites contrariétés, les petites vérités, alors elles érigent peu à peu des murailles contre lesquelles il n’y a plus d’assaut possible. Si vous ne partagez pas votre vérité, alors, un beau matin, vous vous réveillez à côté d’un étranger. » Judi Sion

L’idéal est de se donner un rendez-vous dès que possible après s’être donné le temps de prendre un peu de recul et de se reconnecter à eux-même. Il est alors précieux qu’ils se ménagent une bulle, avec un cadre soutenant, en se rappelant leur intention de prendre soin de la relation, de rouvrir leur coeur et de préserver leur amour.

Le processus du dialogue de couple ‘Crossing the bridge’ proposé par la thérapie relationnelle Imago (telle qu’enseignée par Hedy et Yumi Schleifer) peut être un précieux soutien.

Il s’agit de choisir consciemment de laisser notre perception de la situation derrière nous et de « traverser le pont » pour rencontrer l’autre dans son monde, de découvrir ce monde sans a priori, avec des yeux d’enfant. Pour ce faire, la connexion non-verbale, le toucher, le regard sont aussi importants que les mots. Il s’agit presque d’une forme de méditation où, en étant pleinement présent à l’autre et en redisant pas à pas ce que j’entends de lui, je pénètre peu à peu au coeur de sa réalité, différente mais tout aussi valable que la mienne. Cette phase du dialogue m’amène à un espace où je peux plus facilement vivre et exprimer une véritable empathie, non pas une compréhension mentale mais un véritable accueil de l’autre, où je reconnais la beauté de ce qui l’anime. Et la magie, c’est que je peux alors aussi m’ouvrir à d’autres manières d’être, de penser, d’agir qui font aussi partie de moi et être en paix avec elles. C’est là que je peux sortir de la dualité et reconnaître que je suis bien plus que ce je crois être.

Pour revenir à notre exemple, ce processus pourrait aider Françoise à comprendre et se laisser toucher par la part de Guillaume qui a besoin de s’arrêter, de se poser dans le ‘non-faire’, de se tourner vers l’intérieur, d’être juste présent et en lien, sans nécessairement avoir à dire ou faire quelque chose, de profiter simplement de la vie et d’apprécier ce qui est. En explorant le paysage de Guillaume, elle pourrait mesurer combien ces besoins sont aussi précieux et elle pourrait alors aussi s’ouvrir à ces besoins en elle, à ces parts qu’elle a peut-être refoulées pour être dans l’action et se sentir vivante. Cela a peut-être été nécessaire pour échapper à une dynamique familiale lourde, la dépression d’un parent ou au contraire pour correspondre à ce qu’elle croyait qu’on attendait d’elle et se sentir aimée. Mais aujourd’hui, cela l’empêche peut-être de s’arrêter et de profiter de la vie et Guillaume est là pour l’inviter à réintégrer cet aspect d’elle-même.

Cet exemple nous montre combien partager notre vérité et accueillir celle de l’autre avec le coeur est un ingrédient essentiel pour assainir la relation, nourrir l’amour, évoluer grâce à nos différences et déployer tout notre être.

Mais il ne s’agit pas seulement de partager nos frustrations et nos difficultés !

En effet, faire la place au partage de ce qui nous met en joie et contribue à nos besoins est au moins aussi important. L’appréciation et la gratitude sont les vitamines de la relation, le terreau dans lequel nous pouvons planter nos racines pour évoluer et nous déployer.

Cela est d’autant plus important lorsque nous traversons des périodes de crise et de remise en question.

Faire l’effort d’orienter le ‘projecteur’ de notre conscience sur ce qui nous nourrit, sur les petites choses du quotidien que nous ne remarquons parfois plus, sur les petits efforts, les petits moments d’harmonie, d’ouverture, … est une des clés pour re-nourrir et pacifier la relation.

Voici donc ci-dessous une proposition d’exercice, de rituel, (inspiré de la CNV et de la thérapie relationnelle Imago, à pratiquer régulièrement) si le coeur vous en dit :

Rituel de gratitude :

Prenez rendez-vous pour un moment à deux (prévoir minimum 30 mn)

Assurez-vous de ne pas être dérangés, prévoyez un endroit agréable, au calme, décrochez le téléphone, allumez une bougie si cela vous inspire…

 Prévoyez 2 sièges faciles à déplacer.

Asseyez-vous face à face, très proches, établissez le contact avec les yeux et avec les mains.

Prenez le temps de sentir le lien entre vous, l’amour, la gratitude, la tendresse.

Choisissez lequel de vous deux s’exprime en premier.

L’autre l’écoute silencieusement, pas à pas, sans interrompre, en mettant consciemment ses réactions, corrections, commentaires… de côté pour rester pleinement présent à ce que l’autre lui partage de son vécu.

Celui/celle qui s’exprime partage 2 ou 3 choses que l’autre a fait ou dit ou que vous avez vécu ensemble récemment et qui a été bonne pour lui/elle, qui lui a fait plaisir, et dans lesquelles il peut reconnaître le rôle positif de l’autre.

  • Commencez par exprimer ce que l’autre a fait ou dit, ce qui s’est passé concrètement et qui a été bon pour vous.
  • Prenez le temps de sentir et partager les sentiments positifs que cela a généré pour vous,
  • Et enfin, en quoi c’était bon, quels besoins (valeurs, essentiels, aspirations) cela a nourri.

Cela n’a pas besoin d’être de grandes choses : reconnaître, apprécier, exprimer sa gratitude pour les petits pas, les petits efforts, les petites attentions du quotidien (même et surtout lorsqu’une part de vous considère que c’est ‘normal’, voire même que ce n’est pas assez…) est un des plus précieux ‘carburants ‘ pour la relation et pour l’évolution de l’être humain.

Restez en lien avec les yeux et avec les mains, sentez ce que cela produit en vous pas à pas, arrêtez-vous régulièrement pour sentir l’énergie et la connexion entre vous.

Après chaque point d’appréciation exprimé, celui qui écoute redit l’essentiel de ce qu’il a compris, aussi proche que possible de ce que l’autre a partagé (pas sa perception ou sa réaction mais ce qu’il a compris de l’autre, de ce que l’autre ressent, de ce qui est important pour lui/elle)

Quand le premier a fini de s’exprimer, l’autre lui partage ce qui l’a le plus touché dans le partage de son conjoint et pourquoi.

Ensuite, inversez les rôles.

Terminez le dialogue en partageant comment vous vous sentez, en vous remerciant et en vous exprimant votre amour de la manière qui est juste pour vous.

Cathérine Schollaert     

Formatrice certifiée en CNV, médiatrice et thérapeute de couple.

https://acoeurdance.wixsite.com/acoeurdance

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