Confinement rime-t-il avec enfermement et le futur avec ouverture ?

Pour préparer la rédaction de cet article, j’ai relu les deux textes publiés par l’équipe de l’ACNV dans cette newsletter : le premier rédigé par Anne Bruneau et le second par Anne van Stappen, respectivement intitulés « Au sujet du coronavirus et du confinement »¹ et « Et si le confinement de notre corps nous amenait au raffinement de notre conscience ? » toujours bien d’actualité et que je vous invite à lire ou relire.

Qu’est-ce qui a changé ou évolué depuis ?

D’abord la situation se prolonge et met à rude épreuve certaines familles qui enterrent leurs morts et ne peuvent se réunir, les soignants qui s’essoufflent, les indépendants et acteurs culturels inactifs, les commerçants devenus des girouettes des décisions du centre de crise, les parents qui continuent à télétravailler avec par intermittence les enfants au domicile, les citadins vivement encouragés à rester entre leurs 4 murs… Nous avons besoin de patience et d’espoir en la fin de ce confinement.

La situation, en se prolongeant, s’aggrave pour beaucoup : outre le sinistre bilan des personnes décédées et des malades de longue durée, des situations familiales qui s’enlisent ou se dégradent, des faillites qui surviennent ou se profilent, nos besoins relationnels de proximité et de réconfort mis à mal par les mesures gouvernementales…, d’aucuns vivent une profonde insécurité et le confinement comme un enfermement.

L’angoisse née de l’impuissance à changer les choses actuellement mène même certains à défouler leur agressivité sur leurs proches ou à un passage à l’acte contre eux-mêmes.

Il s’agit de déployer des trésors d’inventivité pour satisfaire des besoins de sécurité financière et affective, de soutien, de chaleur humaine, de proximité…

De plus, des théories du complot déstabilisent notre entendement, divisent familles et amis et interrogent l’origine de nos maux actuels et le devenir de notre civilisation.

Quitter l’enfer-mement

L’expression mise en évidence par Thomas d’Ansembourg m’est revenue en mémoire.  Il écrit au sujet de l’enfer : « J’ai la conviction que l’enfer évoqué par les religions n’est ni ailleurs ni après la mort : qu’il soit à grand ou à petit feu, nous nous y retrouvons dès que nous sommes décentrés, que les différentes parties de nous-mêmes sont dispersées et que nous perdons le contact avec notre unité profonde. » (1)

Il est donc question ici d’un enfermement a priori à l’intérieur de soi.

Quel lien avec ce qui nous arrive ?

Entrer dans l’ouvert-ure  

Il s’agirait de se recentrer, revenir à son axe, se réunifier pour découvrir ou renouer avec la « puissance de vie qui palpite en nous » (1), avec notre élan vital.

Prendre le temps d’apprendre à « être » plutôt qu’à « faire », pour y goûter.

Arriver à « s’apaiser, ralentir, se réorienter, sans médicaments ni drogues… ». (1)

Se rendre disponible en se mettant intérieurement en état d’ouverture de cœur et de conscience :

« Observer son propre fonctionnement et se responsabiliser : dénouer les nœuds de son intimité pour être un bon compagnon pour soi-même » (1) avant de l’être pour les autres.

« S’ouvrir à sa spécificité » (1) avant de s’ouvrir à l’autre et à l’humanité.

Prendre du recul. Faire du « travail sur soi », de transformation de conscience : des notions bien abstraites pour certains. Le processus de la CNV peut nous guider, baliser cette pratique.  

Mettre en question nos cloisonnements

Les 4 étapes O/S/B/D du processus CNV me paraissent aussi pouvoir s’appliquer aux étapes d’une évolution de conscience :

  • D’abord la prise de conscience (observation la plus objective possible des faits)
  • Puis l’accueil et l’écoute de ce que cela nous fait (Ressentis corporels – Sentiments)
  • Repérer le besoin source qui est ou n’est pas rencontré (Besoin)
  • Et imaginer une stratégie écologique (c’est-à-dire prenant soin de nos autres besoins) qui satisfait ce besoin et la mettre en œuvre (Demande de connexion ou d’action, à soi ou à d’autres).

Dans son livre, Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable (3) et dans la vidéo « L’estime de soi » (2), Thomas d’Ansembourg décrit des modes de communication identifiés par la CNV comme des pièges à la communication avec soi, avec les autres, avec le monde qui nous entoure.

Une façon de « travailler sur soi », de cultiver notre intériorité, de sortir de certains enfer-mements, c’est de prendre conscience de ces pièges et de les passer sous le scan O/S/B/D.  

Ces pièges sont au nombre de 4 : les jugements, les croyances, la pensée binaire et le langage déresponsabilisant (« je dois, il faut, … »). Nous allons les illustrer autant sur le plan individuel que sur le plan collectif, en lien avec nos enjeux sociétaux actuels.

Les jugements (positifs et négatifs) :

« Le jugement nous enferme dans une vision arrêtée, statique de la réalité ; or, la réalité est toujours en mouvement, donc dynamique. » (3)

« Tant qu’une personne en juge une autre, elle se coupe de ce qui est vivant en elle-même (le besoin présent) et de ce qui est vivant chez l’autre (le besoin de l’autre). Comme ce qui est vivant dans la relation n’est pas accueilli ni respecté, la relation souffre et fait mal. » (3)

Quand je réalise que je me juge en me disant régulièrement : « Je suis trop bête, je suis une incapable », comment est-ce que je me sens ? (triste ? inquiète ? agacée ? impuissante ?) ; quel besoin est-ce que cela vient toucher ? (besoin d’assurance ? d’estime de moi ? de sens de ma place ?) ; comment nourrir ce besoin ? (je peux me demander par exemple une vigilance à éviter ce jugement ou, s’il sort quand même, d’accueillir cela et de veiller à modifier mon propos en ajoutant « juste là je n’y parviens pas encore et je suis aussi capable de… »).

Un challenge au niveau sociétal :ne pas voir d’ennemi en quiconque (le voisin d’à côté, le politique à la télé, le président d’une multinationale…).

La CNV nousinvite à comprendre que nous nourrissons tous les mêmes besoins, qui sont universels et tous légitimes. Elle nous montre aussi que si la façon de satisfaire ces besoins se fait par des actions qui nous paraissent tragiques ou maladroites et que nous n’acceptons pas, le rejet de l’action ne signifie pas le rejet de la personne dont l’intention est à écouter, qui a des choses à nous apprendre sur notre humanité, notre interdépendance et avec qui il peut être vital de coopérer. 

Les croyances (soutenantes et limitantes) :

« Nos croyances nous enferment également la plupart du temps inconsciemment, dans une vision de la réalité qui n’est pas forcément la réalité. Elles sont souvent la conséquence d’une souffrance et représentent un mécanisme de protection. […] Ce qui est tragique dans une croyance, c’est qu’elle crée ce qu’elle craint. […] Un bon indice pour repérer une croyance inconsciente : le scénario à répétition. » (3)

Si je crois que « je dois me méfier des hommes car ils sont agressifs », je vais avoir une attitude de méfiance à l’égard de tous et en particulier vis-à-vis de ceux qui ne répondent pas à mes attentes, je projette alors sur eux une image pour me protéger d’une autre agression, ce qui peut générer de la colère chez mon interlocuteur et in fine auto-alimenter ma croyance.

Un axiome capitaliste est : « Notre monde est en expansion constante avec des bénéfices constants et des ressources inextinguibles. »

Cette croyance s’ancre très probablement dans la difficulté à accueillir notre peur du manque, de la pénurie, à accepter notre finitude, à faire le deuil de notre toute-puissance, à connaître la plénitude de l’instant présent et la rencontre authentique, la rencontre de cœur avec soi (à l’intérieur de soi) et avec l’autre.

La pensée binaire :

La pensée binaire est une « habitude de fonctionnement mental qui nous fait diviser, séparer voire mettre en opposition des concepts, des idées, des valeurs, des besoins et des sentiments plutôt que de les mettre ensemble et de les vivre en cohabitation, en collaboration, par la conscience complémentaire ou compréhensive. » (3)

« La pensée binaire se remarque par des formulations “soit/soit” et “ou/ou”. […] La conscience complémentaire ou compréhensive, elle, s’énonce par : “et/et”, “en même temps”, “pour le moment”. » (3)

Par exemple, la pensée binaire : « Comme je suis triste que mon père soit en train de mourir, je ne peux pas me réjouir d’être avec mes enfants » limite mon potentiel, alors que la pensée complémentaire : « Une partie de moi est en grande souffrance de perdre mon père. En même temps, je ressens tant de joie et de reconnaissance d’être avec mes enfants » (3)ouvre un espace où je suis en partie nourri·e.

Au niveau sociétal, pourquoi mettre en opposition des conceptions différentes de la santé et de la médecine ? Science de pointe (vaccins high-tech…) et traditions ancestrales (plantes médicinales ayant fait leurs preuves comme le Comando matico au Pérou, l’Artémisia à Madagascar, le neem en Afrique de l’Ouest…) ? Médecines curatives et médecines préventives (ces dernières visant notamment à renforcer notre immunité, nos facultés d’auto-guérison), alors que leurs complémentarités pourraient sauver des vies ?

Il y a les « pour » et les « contre » la théorie du complot.

Les adeptes des théories du complot clivent le monde en « bons » et « mauvais », en forces du bien et forces du mal, et qui, de par leur vision binaire, se coupent d’un lien avec ceux qui provoquent leur colère et compromettent ainsi leurs chances de contribuer à l’évolution qu’ils souhaitent.

« La conscience complémentaire ou compréhensive dégage une impression de réconciliation, d’unité, de perspective, de potentiel, d’ouverture, de liberté et d’abondance. » (3)

Le langage déresponsabilisant :

Il s’agit d’« Habitudes de langage qui paraissent très responsables et très dignes : “il faut”, “tu dois”, “on n’a pas le choix”, “on a toujours fait comme cela”… qui expriment lourdeur, contrainte, douleur, sans perspective ni liberté. »

« Derrière tout, “ il faut”, il y a un “je voudrais” ou un “je tiens vraiment à” qui, lui, nous rebranche sur la vie et dont la conscience est infiniment plus légère et plus ouverte, même si elle n’est ni facile ni confortable à clarifier. » (3)

Se dire : « Il faut que je porte un masque anti-covid » a une charge bien plus lourde que : « Je porte un masque parce que je tiens à protéger ma santé et celle des autres. »

Le langage déresponsabilisant de nos édiles stigmatise les réfractaires à l’autorité.

L’adhésion franche du plus grand nombre à des mesures restrictives, et ce, d’autant plus dans la durée, sera possible si le discours de ceux-ci nourrit des besoins d’honnêteté, de compréhension, de transparence, de sens et de conscience.

Jusqu’ici, cela n’a pas vraiment été le cas : les décideurs dans cette crise n’ont dévoilé que petit à petit, contraints et forcés par l’opinion publique, que la politique de confinement mise en place l’était pour ne pas dépasser la capacité des hôpitaux. Peu ont reconnu une absence de vue à long terme, pour une gestion de pandémie qui s’annonçait (4) par des coupes budgétaires dans les soins de santé depuis de nombreuses années. (5)

Et l’ascendance des industries pharmaceutiques (dont les brevets sur les vaccins…) et des géants d’Internet (GAFAM), à qui cette pandémie profite et qui aggravent les inégalités de notre humanité, quant à elle, n’est jusqu’ici ni officiellement dénoncée ni contrée.

L’inconfort du passage à un « nouveau monde »

Pour Isabelle Padovani dont j’ai déjà repris quelques propos ci-dessus (5), l’évolution de conscience de notre humanité passe par les soubresauts que nous vivons actuellement, témoins d’un accouchement qui ne se fait pas sans heurts.

Elle croit en une évolution en 3 étapes successives « SOL » qu’elle détaille dans sa vidéo « Sortir de la matrice » (4) et que je ne fais que synthétiser ici :

  • Étape 1 : SOLitude – travail interne – intériorité
  • Étape 2 : SOLidité – ce qui s’installe en nous – actions externes
  • Étape 3 : SOLidarité – être au service – interdépendance – contribuer

Nous serions actuellement dans l’étape 1 où ce qu’elle propose rejoint et complète les développements de cet article.

Il est encore trop tôt pour passer à l’étape 2, à l’action, car il y a lieu de s’assurer qu’on ne le ferait pas à partir de la colère, de l’exaspération (et vérifier, cela nous ramène à l’étape 1) car celles-ci conduisent d’office à la violence.

Et « La victoire obtenue par la violence équivaut à une défaite » disait Ghandi.

Célébrer ?

Pour « tenir », nous avons besoin de nous ressourcer régulièrement et de nous nourrir de beauté, d’inspiration, de spiritualité.

Nous avons besoin d’avoir confiance que nous avons les ressources pour traverser les épreuves.

Nous avons besoin de célébrer tous les petits pas qui nous font avancer vers plus de conscience et la concrétisation du monde auquel nous aspirons.

Marshall Rosenberg conclut son ouvrage, Clés pour un monde meilleur, par les mots suivants : 

« Devant l‘ampleur du changement social auquel nous aspirons tous, le moteur qui nous donnera le plus d’espoir et de force pour réaliser ce changement est, à mes yeux, notre capacité de célébrer nos réalisations. Faisons-en sorte que la célébration fasse partie intégrante de notre vie et qu’elle soit le point de départ de nos initiatives. Commençons par là, sinon nous serons dépassés par l’ampleur de la tâche. Cet esprit de célébration nous donnera l’énergie dont nous avons besoin pour mener toutes les actions nécessaires au changement social. » (7)

« Célébrer » de la façon dont la CNV le conçoit, c’est se remémorer les actes concrets qui ont contribué à notre bien-être, réaliser les besoins que ces actes ont satisfaits en nous et se rassasier du sentiment de plaisir né de la satisfaction de ces besoins. C’est aussi faire le deuil, en goûtant pleinement l’énergie d’un besoin qui n’est pas rencontré.

Choisirons-nous de fêter ou non Noël en présentiel cette année avec nos proches, en petit comité, et cette fête se vivra-t-elle comme une célébration en mode CNV ?

Quoiqu’il en soit, nous avons aussi le choix de célébrer ce soir-là ou un autre et pourquoi pas tous les jours, ces personnes qui nous sont chères dont les actions posées en 2020 ou à plein d’autres moments, ont embelli notre vie.

Nous goûterons à un espace de douceur et de paix, à l’ouverture du cœur.

Cela nous rendra la vie plus belle.

Jacqueline De Picker

Coordinatrice site-Facebook de l’ACNV-BF asbl

avec reconnaissance pour les relectures attentives et soutenantes d’Anne Bruneau et Solène Garreau

Note :

¹ : À la fin du texte « Au sujet du coronavirus et du confinement » , les soignants qui en éprouveraient le besoin trouveront un lien vers des personnes bénévoles qui se mobilisent pour offrir de l’empathie. Les cercles d’empathie qui y sont mentionnés sont arrêtés et les écoutes ne sont plus bénévoles mais ces écoutants ainsi que les formateurs certifiés peuvent vous proposer de l’écoute sur rendez-vous.

Sources :

(1) Livre de Thomas d’Ansembourg, Qui fuis-je ? Où cours-tu ? À quoi servons-nous ? Vers l’intériorité citoyenne.

(2) Vidéo de Thomas d’Ansembourg « L’estime de soi », à visionner à partir de 55’09 ‘’ pour y retrouver les 4 pièges à la communication.

(3) Livre de Thomas d’Ansembourg, Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable.

(4) Documentaire (GBR, 2018) « Les grandes épidémies de l’histoire : la grippe espagnole », diffusé sur LA TROIS le 28/11/2020.

(5) Termes en italique inspirés de le podcast d’Isabelle Padovani « Sortir de la matrice ».

(6) Vidéo de Thomas d’Ansembourg « Avez-vous pris votre “douche psychique” avant de rentrer chez vous ce soir ? » (10’09’’).

(7) Livre de Marshall Rosenberg, Clés pour un monde meilleur.