CNV et racisme

Dès ses 8 ans, début des années 40, Marshall Rosenberg, le fondateur de la Communication NonViolente (CNV) est confronté aux violences raciales à Détroit dans l’état du Michigan où se sont établis ses parents et son nom à consonnance juive suscite de l’agressivité auprès de camarades de classe.

Il côtoie aussi un de ses oncles qui vient soigner sa grand’mère, mourante, un homme qui rayonne d’une profonde joie.

D’où ses questionnements dès ce moment : « Que se passe-t-il dans la tête d’un homme qui en blesse un autre délibérément ? Quel bénéfice peut-il bien retirer à voir souffrir un être humain ? » « Pourquoi existe-t-il des hommes comme mon oncle, et d’autres capables d’assassiner ? » (1) auxquels il apportera des réponses en développant la CNV et affinant ses principes toute sa vie durant.

Notre ambition est de montrer ici des pistes proposées par la CNV pour dépasser, débloquer des situations de racisme et plus largement de discriminations en se plaçant du point de vue de la personne dite « raciste », de celui.celle qui est discriminé.e et du témoin. Nous aborderons aussi la question de la « réparation » .

La personne dite « raciste »

Une personne dite « raciste » va avoir une attitude d’hostilité répétée ou même systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes. Elle limite en général la sphère des personnes qu’elle juge dignes de considération à des personnes qui lui ressemblent.

D’où vient cette hostilité ?

  • De la recherche d’explication à une expérience de vie difficile (perte de travail, d’espoir de gagner sa vie durablement pour nourrir sa famille, …), voyant l’ « autre » comme source de ses problèmes
  • De la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races », portée par une idéologie (de genre, de caste, nationaliste, ethnique, religieuse, …)

Celle et ceux qu’elle classe parmi « les autres » l’inquiètent et lui font très probablement peur. Des sentiments inconfortables, parfois inconscients, souvent masqués par de la colère.

Elle a besoin de sécurité physique, économique, de tranquillité d’esprit grâce à une certaine prévisibilité.

Elle désigne un « bouc émissaire » pour éviter sa propre responsabilité.

Elle inflige de la violence à l’autre avec une intensité proportionnelle à sa rage : d’une « simple » plaisanterie, à la confrontation verbale ou physique, au rejet ou même au meurtre.

Quand la personne dite « raciste » passe à des actes violents, éprouve-t-elle une sensation de puissance ? de pouvoir sur l’autre ? cela lui permet-il de se faire un nom, de se créer une identité ? de se faire accepter par ses pairs ?

Les groupes et nations portant une idéologie raciste ont créé, ne serait-ce qu’au XXe siècle, une émulation mortifère.

« Pourquoi les amicales néo-nazies sont-elles si puissantes ? Parce que leurs membres ont trouvé un lieu où leur souffrance est comprise, et où ils peuvent se donner les uns aux autres toute l’empathie dont ils ont besoin pour calmer leur colère.

Sur ce besoin-là, nous sommes tous sur un pied d’égalité. La seule différence entre eux et moi, c’est que notre mode de pensée s’est formé différemment et que nous avons appris des stratégies différentes pour satisfaire nos besoins. » (1) p. 105

« Pour justifier leurs opérations militaires, les américains se sont servis de la même langue que les nazis, une langue qui se coupe de l’humain *. Certes, ils n’ont jamais employé le vocable de “vermine” utilisé par Hitler pour décrire les juifs, mais l’on remplacé par “Yeux bridés”. (…)  Ainsi aujourd’hui, les hommes ne sont même plus de la vermine, ils sont des petits points sur un écran d’ordinateur. En d’autres termes, la transformation des êtres en choses s’est accélérée ; cela devient de plus en plus facile de détruire des hommes, des femmes et des enfants. » (1) p.99

Soyons conscients que « même quand nous ne faisons que penser à quelqu’un en termes déshumanisants, nous ajoutons plus de violence au monde. (…) Cela peut nous désensibiliser du fait que nous parlons d’êtres humains ayant des sentiments et des besoins » (3).

Alors comment prévenir cela ?

« Ce qui est important, c’est que n’importe quelle personne puisse, à n’importe quel moment, se mettre en lien avec son humanité. (…)

Certaines structures et certains contextes peuvent faire de chacun de nous un monstre.

Pour nous prévenir d’un tel « accident », nous n’avons rien de mieux à faire que de nous relier avec  tendresse à notre humanité et au plaisir d’être simplement vivant. Or, précisément, notre culture n’a pour ainsi dire rien prévu pour nous entraîner à établir ce lien profond avec nous-mêmes. Au contraire, nous apprenons dès l’enfance à penser selon un schéma destructeur et à nous croire protégés par des structures de domination ; corollairement, nous apprenons à renoncer à notre libre-arbitre et à notre responsabilité, et à nous en remettre aux autorités. » (1) p. 129

Une grosse difficulté, c’est de « se libérer de nos « images d’ennemis », (…) d’abandonner les projections qu’on fait sur l’autre, de reconnaître les aspirations profondes de chacun. (…)

Il est indispensable de comprendre qu’on ne peut pas être heureux si c’est aux dépens d’autrui. Une fois que cela est totalement clair dans notre esprit (…), c’est plus facile de se relier les uns aux autres en tant qu’êtres humains, libres de toute idée préconçue » (4) p.138

Notons que « des études relatives au racisme et au sexisme ont démontré que les hommes ou les femmes dont l’esprit est tourné vers la discrimination ne sont pas en mesure de faire la différence entre une observation et une évaluation. Ils et elles sont d’avis que leurs préjugés correspondent à des faits observés. » (1) p.19

« Les gens ne savent pas comment exprimer leurs aspirations ni leurs demandes. Ils excellent par contre à diagnostiquer les pathologies de leurs protagonistes et à identifier ce qui ne va pas chez eux et les pousse à agir comme ils le font. » (4) p. 138

Pratiquer la CNV consiste précisément à distinguer les observations des évaluations et à mettre le focus sur les observations, à repérer ses sentiments et ses besoins et arriver à les exprimer et formuler des demandes concrètes, à soi ou aux autres pour nourrir nos besoins dans la confiance qu’ils peuvent être nourris ou pour le moins entendus.

Ce sont des capacités qui s’apprennent, comme l‘empathie.

Car, en effet, les dernières découvertes des neurosciences montrent que l’ocytocine est l’hormone de l’empathie, du « prendre soin », que « plus on reçoit de l’empathie, plus on sécrète de l’ocytocine, c’est un vrai cercle vertueux. (…) Une autre molécule cérébrale extrêmement importante est la dopamine, qui nous donne de l’élan, de la motivation et du plaisir à vivre. (…) Une attitude soutenante, encourageante fait sécréter de la dopamine. (…) nous avons aussi des neurones-miroirs dans notre cerveau. (…) Il s’agit des neurones de l’imitation » (5) p.38 à 43.

Ces éléments mis ensemble nous indiquent clairement que la capacité d’empathie peut se développer par apprentissage pour autant que les figures de référence (parents, éducateurs, …) adoptent une telle attitude.

Un véritable challenge au niveau de la société en même temps qu’une ouverture à l’espoir de diminuer les discriminations.

La victime de racisme

Quelles peuvent être les effets d’une « communication raciste » sur quelqu’un ?

En fonction du degré de gravité, de la personne et de son histoire, du contexte, des circonstances et de la répétitivité ?

C’est « la peur ou la terreur, la rage ou un sentiment d’incrédulité et de ridicule » (5), et pour certains de la détresse, de la tristesse, de l’impuissance qui sont stimulés.

Le racisme a cette particularité parmi d’autres formes de discriminations de s’ancrer dans une continuité sur des générations.

Ta-Nehisi Coates, journaliste noir américain, s’adressant à son fils, dans le bouleversant livre « Une colère noire » (6) écrit : « N’oublie jamais que nous avons été esclaves dans ce pays plus longtemps que nous n’avons été libres. N’oublie jamais, que pendant deux cent cinquante ans les personnes noires naissaient enchaînées – des générations entières suivies par d’autres générations, n’ont rien connu d’autre que les chaînes. (…). Tu ne peux pas oublier tout ce qu’ils nous ont pris et la façon dont ils ont transfiguré nos corps pour en faire du sucre, du tabac, du coton et de l’or. » (6) p. 92 

Il parle des » bandes de jeunes hommes (noirs) qui avaient transformé leur peur en rage et représentaient le plus grand danger » (68) p. 41, lui-même n’ayant jamais ressenti la fierté censée naître de la légitime défense, de la violence justifiée. Il dit : « Chaque fois que je me battais, peu importait ma rage du moment, je me sentais toujours malade après coup, malade d’avoir cédé à une forme aussi grossière de communication. » (6) p. 118/119

Quand un meurtre raciste est commis comme celui sur la personne de George Floyd par un policier, sensé défendre tous les citoyens des Etats-Unis, Roxy Manning, formatrice CNV afro-américaine spécialiste des questions raciales, ressent « de la peine, du désespoir, un deuil, une angoisse et une rage très profonds. » (7)

On peut imaginer tous les besoins mis à mal : « Besoin de sécurité, d’intégrité, d’acceptation, de partage de sa réalité, de changement, de viabilité, d’espoir. « (4)

Comment faire face à de telles attaques ?

Face à un danger, les réactions habituelles sont de fuir, se figer ou attaquer.

Contre une agression physique, la CNV n’exclut pas l’usage de la force, mais recommande un usage protecteur de la force, « protecteur au sens de préserver des besoins de sécurité, d’intégrité (physique, atteinte aux biens). » (8) p. 149-150 et avec l’ «intention de ne pas faire souffrir l’adversaire. » (9)

Contre une agression verbale, nous avons besoin de muscler nos habiletés afin d’acquérir certaines compétences et pouvoir y avoir recours en cas d’urgence : l’auto-empathie minute permet de « reprendre ses esprits et désamorcer l’agressivité. Puis exprimer sa colère de manière constructive. ».

« En pratique », voici les étapes à suivre :

  • « Je note l’impact corporel, je prends acte des tensions ou du blanc (je peux être sans mots, sidéré ou liquéfié, estomaqué comme si j’étais sous vide). Symboliquement je visualise l’airbag qui se gonfle (image empruntée à nos collègues Isabelle Desperrier et Robert Greuillet) ; j’accueille mes sensations, je reste avec, et je respire.
  • En parallèle surgissent des pensées, des jugements ou des impressions tels qu’être ridiculisé, humilié, incompris.
  • Je visualise ma première réaction, ma tentation de réagir comme j’en ai l’habitude.
  • Je me relie à mes besoins (garder la connexion, rester droit, garder ma dignité).
  • Ou bien j’utilise un mot de passe, pour me rappeler que le « scud » désagréable pour moi, exprime un besoin chez l’autre :  “Ce n’est pas une attaque, c’est un besoin.”
  • Et là j’ai deux possibilités : 1) exprimer ce qui se passe pour moi ou 2) la reformulation minute »  (8) p.52-53

Après l’évènement, aller chercher de l’aide pour trouver un espace où accueillir ces sentiments intenses et y puiser la force de tenir et de rester debout. Trouver une écoute empathique, celle qui a une compréhension respectueuse de ce que l’autre expérimente, auprès d’une personne en laquelle on a la confiance que des émotions intenses  exprimées avec force pourront être entendues, que si cette personne elle-même est stimulée par un sujet aussi prégnant, elle pourra le gérer sans interférer avec le suivi empathique de la victime, qu’elle respectera le rythme de celle-ci sans lui demander plus que ce qu’elle ne peut offrir comme compréhension de l’auteur des faits.

La victime de racisme ou de discrimination a besoin que tous, nous apprenions à prendre soin les uns des autres et y goûtions ; que la conscience de notre humanité commune se développe sur cette terre. Nous y revenons : « La paix, ça s’apprend » … (5)

Le témoin d’une situation de discrimination

Confronté en tant que témoin à un comportement que nous qualifierions de raciste, que se passe-t-il en nous et quelle attitude adopter face à la situation ?

En fonction du type et de l’intensité de la violence observée, nous pouvons être choqués, révoltés, ou désemparés, confus quant à l’attitude à adopter, anxieux quant à l’issue des événements, craindre pour l’intégrité de la victime et/ou la nôtre. Dans les besoins en jeu à ce moment, il y a sûrement la sécurité-préservation et une variation de besoins en lien avec l’interdépendance.

Que propose la CNV ?

Encore une fois si la situation est physiquement violente, recourir si besoin à un usage protecteur de la force. Stopper les actions nuisibles. Songer peut-être à distraire l’agresseur pour permettre à la personne agressée de s’esquiver.

« Prendre » une bonne dose d’auto-empathie (cf processus décrit pour la victime) pour évaluer la situation, le niveau de risque, le risque qu’on est prêt à prendre ou pas, préparer sa communication à l’auteur des faits.

Si l’agression est verbale et que vous intervenez, faites-le dans la conscience que chacun par ses actions répond à des besoins – légitimes.  « Efforcez-vous de comprendre l’acteur autant que vous pouvez de telle sorte que dans toute intervention que vous feriez, émanera de vous une condamnation de la stratégie tout en gardant votre compassion pour l’auteur. » (7)

« Si l’autre personne se sent, ne serait-ce qu’un peu comprise, – et rappelons-nous que comprendre n’est PAS être d’accord ! –  alors vous avez beaucoup plus accès au dialogue.

Une fois que vous y avez accès, vous pouvez utiliser vos compétences CNV pour affronter les croyances et les comportements racistes.

Après lui avoir donné de l’empathie, grâce à laquelle l’autre reçoit une certaine compréhension, vous pouvez exprimer votre honnêteté au sujet de la douleur générée en vous lorsque vous entendez certains mots ou voyez certains comportements.

En vous montrant vulnérable et en parlant du fond du cœur de votre douleur – et en laissant les questions de bien et de mal en dehors de ce dialogue – vous êtes beaucoup plus susceptible de vous faire entendre et d’atteindre le cœur de quelqu’un d’une façon qui pourrait le faire reconsidérer ou être plus ouvert à ce changement de conscience qui consiste à élargir le cercle de ceux qu’il considère comme faisant partie de son monde. » (3)


Roxy Manning dans l’article « Comment la communication NonViolente (CNV) peut-elle être utile en ces temps de transformation ? » (7), présente trois situations qui l’ont ébranlée au cours d’une journée en tant que membre de la communauté noire américaine et clarifie des points de vigilance par rapport à ce que peut offrir la CNV.

Elle enjoint les témoins d’actes de discrimination à intervenir, ne serait que par un contact oculaire, par une parole comme « désirez-vous que je dise quelque chose ? » ou « Voulez-vous que je trouve quelqu’un qui puisse intervenir ? », par une intervention même « désordonnée, critique, inarticulée ». Si celle-ci « permet à la personne discriminée de s’en sortir indemne, avec, finalement, une expérience de ce que quelqu’un a reconnu la violence et s’est interposé pour la prévenir. Cela en vaut la peine. » (7)

Elle propose une liste de pratiques à exercer par le témoin pour se préparer à reconnaître et répondre dans des situations où quelqu’un se fait discriminer.

Intervenir dans de telles circonstances, elle appelle cela de l’empathie en action.

L’empathie en action, c’est aussi pour elle, notamment lorsque des dégâts ou des déprédations ont été perpétrés, deviner un besoin (de soutien par exemple) et faire des propositions pour vérifier la pertinence de ce besoin puis offrir de poser des actions qui y répondent. Qui peuvent toujours être refusées. Mais c’est rarement le cas sur le terrain.

« Les phénomènes de bandes de jeunes ou moins jeunes mettent aussi à l’épreuve. Car les individus qui les constituent partagent les mêmes codes qui soudent leur appartenance et rendent difficile une posture individualisée. Le groupe a une fonction de protection vis-à-vis de l’étranger.

On ne s’adresse plus à un individu qui pense par lui-même mais à un agrégat qui partage les mêmes représentations rendant difficile une prise de parole affranchie, alors que le processus CNV est conçu pour se toucher d’être à être dans sa vulnérabilité. » (8) p. 149-150

Pour Marshall Rosenberg qui a très souvent voulu travailler avec des groupes mus par l’extrémisme et la discrimination, l’établissement du contact arrivait à se faire via un membre du groupe manifestant un tout petit peu plus d’ouverture, se laissant toucher.

Marshall Rosenberg écrit : « Et quand j’ai pu “trouver le joint” avec lui, il remarque souvent que ce que j’offre peut lui être utile ; Alors, c’est lui (ou elle) qui m’aide à établir le contact avec le reste du groupe**. » (1) p. 106

Enfin en élargissant la question au racisme qui atteint la planète entière, il dit aussi : « Certains types de négociation  qui n’ont jamais été tentées seraient plus protectrices que tout usage de la force. Notre seule option est la communication d’une façon radicalement différente. Nous en arrivons à un point où aucune armée n’est capable d’empêcher des terroristes d’empoisonner nos rivières ou d’encrasser notre air. Nous en arrivons à un point où notre meilleure protection est de communiquer avec les personnes dont nous avons le plus peur. Rien d’autre ne fonctionnera. » (9)

Les excuses – la réparation – la guérison des blessures

Cela devient une habitude des chefs d’état de présenter des excuses pour des situations de discrimination : en 1995 Jacques Chirac pour la dette de l’Etat français vis-à-vis des juifs déportés, le premier ministre luxembourgeois pour les manquements de l’administration auprès de la communauté juive, les autorités ecclésiastiques manifestant leur repentance par rapport aux fautes commises par des membres de son église au cours de son histoire, de profonds regrets du Roi Philippe pour les actes de violence et de cruauté, les souffrances et les humiliations infligées durant la colonisation du Congo.

Pour la Communication Nonviolente, « les excuses font partie du langage violent que nous nous sommes habitués à utiliser. Elles impliquent la notion de faute – que l’on mérite reproches et repentance et d’être considéré comme mauvais pour avoir fait ce que l’on a fait. Cela implique aussi que, dès le moment où l’on reconnaît être une horrible personne et que l’on s’en veut suffisamment, on pourra être pardonné. Dire qu’on est désolé, qu’on s’excuse fait partie intégrante de ce jeu. L’idée étant que si on se hait suffisamment, on a une chance d’être pardonné.

Pourtant, ce jeu de l’auto-flagellation ne fait pas véritablement de bien. La guérison provient plutôt d’un travail d’introspection lors duquel nous identifions les besoins que nous n’avons pas comblés par le comportement que nous regrettons. Dès que nous sommes en lien avec eux, la nature de notre souffrance se transforme. Elle devient plus naturelle et porteuses d’enseignements, plutôt que de nous amener à nous haïr ou nous culpabiliser. » (4) p. 90-91

Et là, c’est d’un travail de deuil (au sens CNV) qu’il s’agit.

La CNV préfère à la « réparation » au sens classique du terme, la confrontation de l’auteur des faits avec la douleur qu’il a provoquée chez sa victime, qu’il arrive à toucher à des sentiments de tristesse profonde pour les dégâts provoqués. Ce qui est extrêmement difficile pour lui.

Il est à noter que dans un processus de guérison, ce qui est pris en compte, c’est ce qui est toujours vivant, dans l’instant présent, en relation avec ce qui s’est produit antérieurement.

Pour qu’il y ait guérison, prenons le cas d’une situation où deux personnes sont impliquées :

–  la personne agressée doit avoir reçu suffisamment d’empathie pour avoir la conviction que sa douleur, toujours présente, a été comprise par l’auteur des faits,

– que celui-ci exprime un deuil – sans s’excuser – en réalisant bien ce qu’il a causé comme peine, en ressentant de la tristesse voyant que la stratégie qu’il a utilisée à l’époque pour combler un besoin allait à l’encontre d’un besoin essentiel pour l’autre

– qu’il puisse expliquer ensuite ce qui était vivant en lui quand il a perpétré ces actes horribles

– et que la personne agressée puisse lui offrir de l’empathie pour cela et prendre conscience de sa peine aussi.

Ce processus, délicat, sera accompagné par un thérapeute CNV et mené jusqu’à son terme lorsqu’une détente se lit sur le visage et dans la posture de la victime – et de l’agresseur.

Une telle guérison peut aussi se produire hors de la présence de l’agresseur, le thérapeute jouant alors le rôle de celui-ci dans un « jeu de rôle ».

Le processus de guérison tel que décrit ci-dessus est également utilisé quand on a affaire à des groupes de personnes dans le cadre de cercles restauratifs (cf La facilitation des cercles restauratifs – newsletter de juin 2019) ou en justice restaurative (cf la newsletter de décembre 2018 ou encore le film qui vient de sortir : « Ces mots qui libèrent ») pour arriver à une forme de réconciliation, de pacification des relations et des cœurs.

« Pour résoudre ses conflits, quels qu’ils soient, l’homme doit développer une méthode rejetant toute idée de vengeance, d’agression ou de riposte. Le fondement de cette méthode est l’amour » Martin Luther King Jr (4) p. 193

Jacqueline De Picker

Coordinatrice site-Facebook de l’ACNV-BF asbl

avec reconnaissance pour la relecture attentive et soutenante d’Anne Bruneau

Notes :

* L’amtssprache ou langage bureaucratique : l’officier nazi Adolf Eichman utilisait ce langage déresponsabilisant avec ses officiers. Lorsqu’on leur demandait pourquoi ils avaient pris telle ou telle mesure, ils répondaient par exemple « Je devais le faire ». Et à la question de savoir pourquoi ils devaient le faire correspondait un éventail de réponses toutes prêtes : « Ordre des supérieurs hiérarchiques », « C’était la politique de notre organisation », « C’était la loi ». (1) p.38

** allusion à la collaboration qui a pu s’établir avec le gang noir des Zoulous de Saint-Louis – voir (1)         p.106 à 109

Sources bibliographiques :

  1. Dénouer les conflits par la Communication NonViolente » Marshall B.Rosenberg – Editions Jouvence 2006 – p. 15-16
  2. Les mots sont des fenêtres (ou des murs) Introduction à la Communication NonViolente – Marshall B. Rosenberg – Editions Jouvence 2005
  3. Inspiré du dossier de Puddle Dance Press sur le racisme sur https://www.nonviolentcommunication.com/learn-nonviolent-communication/nvc-racism/
  4. « Parler de paix dans un monde de conflits » Marshall Rosenberg – Editions Jouvence 2009
  5. La paix, ça s’apprend Thomas d’Ansembourg David van Reybrouck – Acte Sud 2016 – voir aussi la conférence de Thomas d’Ansembourg sur cette question
  6. « Une colère noire lettre à mon fils – Ta-Nehisi Coates J’ai lu Essai 2015
  7. « How can NonViolent Communication (NVC) be helpful in these transformative times ? » Roxy Manning, PhD – June 2020 – www.roxannemanning.com – Voir la traduction de cet article en français : « Comment la communication NonViolente (CNV) peut-elle être utile en ces temps de transformation ? »
  8. « La Communication NonViolente » Geneviève Bouchez Wilson – Pascale Molho – C’est malin Poche 2016
  9. « Beyond Good & Evil : Marshall Rosenberg On Creating A Nonviolent Word » An interview by D. Killian – The Sun – February 2003 – https://www.thesunmagazine.org/issues/326/beyond-good-and-evil