Le burnout n’est pas une faiblesse personnelle, mais plutôt une alerte du vivant.
Ce qui différencie profondément un être humain d’une machine, c’est sa capacité à ressentir (émotions, sentiments) et les besoins qui l’animent. Or dans le monde du soin, ces signaux vitaux sont trop souvent mis entre parenthèses. Par fidélité à leur rôle, face à la vulnérabilité des êtres dont ils ont la responsabilité par exemple, certains soignants en viennent à ignorer ce qui les met en vie. Ils s’éloignent de leurs propres besoins jusqu’à s’épuiser…
En effet un burnout c’est un trop-plein de stress, à trop haute intensité, pendant trop longtemps. Et chaque fois que nos besoins sont mis sous couvercle, nous infligeons à notre corps du stress telles les plantes qui ne reçoivent pas l’eau, la lumière et les nutriments nécessaires à leur développement et qui se flétrissent…
Un environnement qui malmène l’humain
Oui, le système de santé, par sa structure même, peut être source de violence. D’une part pour les patients, dont les besoins de base (sommeil, intimité, nourriture, autonomie) ne sont pas toujours respectés, et d’autre part pour les soignants, tiraillés entre leurs valeurs (humanité, qualité, présence) et les contraintes de terrain : surcharge, manque de moyens, protocolisation, rythme effréné.
Dans ces conditions, il devient difficile pour le soignant de prendre soin de l’autre sans se perdre soi-même. Difficile aussi de nourrir des relations de qualité, tant avec les patients qu’avec les collègues, dans un quotidien où le temps pour « se dire », pour comprendre ce qui se joue en soi et dans la relation, est devenu un luxe car non quantifiable et donc non rémunéré…
Se reconnecter à la vie en soi : l’auto-empathie
La première étape pour se prémunir de l’épuisement est déjà de se remettre à l’écoute de soi.
La CNV, au travers de l’auto-empathie nous invite à mettre de la conscience sur nos sentiments et nos besoins. Nous pouvons donc nous poser la question que nous posons à toutes personnes que nous croisons au cours de la journée… :
« Comment je vais ici et maintenant ? »
Cela peut sembler dérisoire, mais c’est un acte puissant. Car comment poser des limites, faire des demandes ou collaborer sainement si je ne sais pas de quoi j’ai besoin ? L’auto-empathie, c’est reconnaître ce qui est vivant en moi, sans jugement, pour en prendre soin avant que cela ne déborde sur les autres ou moi-même.
Et de même, en fin de journée en quittant le travail, il peut être très soutenant de prendre le temps de se reconnecter à soi et à ce dont nous avons envie pour nous remettre « en vie ». Est-ce d’aller dépenser une énergie trop longtemps contenue ? Est-ce d’aller rire avec l’un ou l’autre ami pour se rappeler que la vie n’est pas que souffrance mais aussi joie et légèreté ? Ou est-ce de se retrouver un peu seul.e dans le calme et le silence ?
Prendre ce temps de soi à soi en fin de journée risque de nous amener à reconnaître que parfoisnous sommes triste, en colère, découragé,… en cette fin de journée pour telle ou telle raison.
Comme par exemple, cette fois où je n’ai à nouveau pas pu soigner mon patient dans le respect de son rythme alors que pour moi cela fait partie de soins de qualité… Dans ce cas, plutôt que de me juger, je vais me mettre à l’écoute de ce besoin de respect de chacun, reconnaître que c’est clairement ce que je souhaite vivre et que c’est dur pour moi de faire ce constat.
Je vais en même temps reconnaître que j’ai fait du mieux que je le pouvais avec les moyens qui étaient à ma disposition ce jour-là… Je peux aussi me relier à tous les moments où j’ai fait ce qui était en mon pouvoir pour vivre ce respect du rythme de chacun y compris du mien et être dans la gratitude pour ces moments.
Je peux aussi décider de mettre des choses en place pour que ce respect petit à petit se matérialise dans ma vie, si pas professionnelle, au moins privée.
Prendre ce temps de moi à moi me permet de me reconnaître comme une personne habitée pleinement de cette valeur, en cela je prends également soin de mon estime personnelle.
L’écoute empathique : un espace de réhumanisation
Écouter en profondeur ce que l’autre vit, au-delà de ses mots, est l’un des plus grands cadeaux que nous puissions faire à l’autre… et à nous-mêmes.
Face aux critiques ou aux plaintes des patients, la CNV nous offre une autre voie : au lieu de réagir, nous pouvons entendre les besoins derrière les mots des patients. Il s’agit par exemple de sécurité, d’attention, d’autonomie,…. Mettre l’attention sur les besoins de notre interlocuteur nous permet de ne pas prendre ses paroles contre nous et ainsi de préserver notre confiance en nous-même. De plus en écoutant ses besoins souvent exprimés maladroitement, en les reconnaissant nous captons une information précieuse quant à notre interlocuteur pour pouvoir aller de l’avant avec lui. Cela apaise les tensions et prend soin de la relation avec les patients et leur famille. Cela est aussi valable entre soignants, bien sûr.
Cette posture d’écoute empathique, que l’on cultive dans les ateliers de CNV, nous permet de quitter le mode « robot » pour retoucher au sens profond de notre métier : prendre soin de l’autre, de l’humain, dans sa globalité.
Cela demande de prendre du temps, de s’arrêter un moment, c’est vrai… et en même temps, souvent, cela permet par la suite d’en gagner beaucoup. En effet quand chacun se sent pris en considération, écouter profondément et reconnu dans ce qu’il vit, la confiance se bâtit et l’envie de trouver une solution pour avancer ensemble est beaucoup plus présente.
L’expression honnête : poser ses limites, rester en lien
Dire ce qui est important pour soi, clairement et avec bienveillance afin de prendre soin de ses besoins, est également essentiel pour durer dans les métiers du soin.
L’expression honnête permet de poser ses limites sans agressivité, de faire des demandes claires, au lieu de nourrir des attentes silencieuses, de rester fidèle à soi, sans exclure l’autre. C’est fondamental pour se prémunir de l’épuisement car cela permet à chacun de veiller à remplir ses besoins.
De plus une prise en compte mutuelle des besoins de chacun permet de soutenir la motivation à s’investir dans cette relation et la préserve ainsi dans le temps.
Choisir d’agir sur ce qui dépend de moi
Une autre piste pour se prémunir du burnout est de lâcher prise sur le monde du soin idéalisé dont je rêve… Cela me demande de faire certains deuils… Accueillir la réalité telle qu’elle est peut être source de révolte… et en même temps cela peut également libérer de l’énergie à mettre ailleurs, dans ce sur quoi j’ai prise : mes ressentis, mes besoins, mes choix, ma façon de poser des actes alignés avec mes valeurs. Ce sont les fameux « plus petits pas possibles ». Ils définissent qui je suis, m’invitent à faire de mon mieux sans exiger de moi la perfection.
Malgré tout il se peut que certains jours je sois aussi amenée à reconnaître que je n’ai plus d’énergie pour prendre directement soin de mes besoins… C’est le moment de reconnaître mes limites, de faire une pause, de demander de l’aide. Car si je ne prends pas soin de moi, qui le fera à ma place ?
La reconnaissance et la gratitude : nourrir le sens
Pour finir, le besoin de reconnaissance est crucial dans la problématique du Burnout.
Nous en avons tous besoin, que ce soit celle de notre hiérarchie, de nos proches, de nos patients, de nos collègues ou de nous-mêmes et elle change tout.
Dans le monde du soin de plus en plus protocolisé, il est vraiment important de développer une culture de la reconnaissance afin que chacun puisse percevoir en quoi il est une valeur ajoutée pour son environnement de travail.
De plus un contexte stressant favorise le repli sur soi et la compétition, mettre alors l’attention sur ce qui fonctionne déjà, sur la complémentarité et les richesses des différences, vient nourrir une culture de collaboration et installer un climat de bienveillance bien nécessaire au cœur des tempêtes que les soignants vivent quotidiennement.
L’expression de la reconnaissance, lorsqu’elle est authentique, comme nous l’apprend la CNV, ravive la motivation, renforce la cohésion d’équipe, et soutient l’élan de contribuer.
Pour conclure
Dans un système où la violence est déjà bien présente, ralentir et prendre le temps de nous mettre à l’écoute de nous-même et de l’autre, permet de nous relier à notre humanité en nous connectant à nos besoins respectifs.
Mettre notre attention sur nos besoins et reprendre la responsabilité de ceux-ci en lâchant ce sur quoi nous n’avons pas de prise, nous permet d’utiliser au mieux notre énergie. Cela nous amène à reprendre la main sur notre bien-être et nous aide à nous préserver dans le temps.
Et puis je veux avoir confiance qu’en augmentant la conscience de chacun sur l’importance de prendre en compte les besoins des uns et des autres, de l’individu et du collectif, nous arriverons ensemble à construire un système de soins viable et pérenne, un système où il y a un équilibre, instant après instant, entre les besoins du collectif et ceux des individus qui le composent… car la vie n’est jamais figée… elle est mouvement permanent.
Astrid van Male
Formatrice en Communication NonViolente Certifiée du CNVC
Coach Certifiée – Formatrice – Infirmière – A l’initiative du Cercle CNV Santé
Son site : www.springtolife.be